Lena Louarn en précampagne électorale ?
Ne vous fiez pas à la une du numéro 112, daté août septembre, de "Bretons" (par rapport au titre de ce post) : le magazine se demande si les Bretons ont toujours la foi. Le dossier qui vise à répondre à cette interrogation existentielle est loin d'être sans intérêt. Il bénéficie de l'éclairage de deux chercheurs compétents, dont l'un, André Rousseau, est sociologue, et l'autre, Yvon Tranvouez, historien. Ils expliquent, le premier, qui sont réellement les catholiques actifs aujourd'hui, et le second comment l'Église n'a plus désormais d'autre choix que de fonctionner en réseau.
Mais si vous n'avez pas encore feuilleté ce numéro de "Bretons" ou consulté le sommaire, vous ne saurez pas que Lena Louarn y figure en bonne place, avec une interview sur six pages, menée par Maïwenn Raynaudon-Kerzerho, illustré des photos d'Emmanuel Pain. Vous savez forcément que Lena Louarn est depuis 2010 vice-présidente du Conseil régional de Bretagne et qu'elle préside en même temps l'Office public de la langue bretonne.
Je tiens à vous rassurer : l'interview ne se présente absolument pas comme un bilan bourré de chiffres de l'action qu'elle a menée depuis cinq ans dans le cadre de ses responsabilités. C'est un peu comme si elle était parue dans "Paris Match" : disons qu'elle est d'une tonalité assez people. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'y découvre aucune information, bien au contraire, sur ses convictions bretonnes en particulier.
Originaire de la région parisienne
La première question que l'on pose à Lena Louarn lui permet d'emblée de préciser qu'elle est née en région parisienne, à Villeneuve-Saint-Georges, de parents tous deux militants se prévalant d'un sentiment breton très fort : "dépasser le militantisme de mon père, dit-elle, ce n'était pas possible". La famille est hébergée dans une grande propriété avec château et dépendances, en même temps que d'autres Bretons "exilés". Elle ne donne aucune indication sur les raisons pour lesquelles ces militants bretons se sont tous retrouvés là dans les années d'après-guerre à 25 km de Paris, si ce n'est qu'elle a trouvé "très dur" de se faire traiter de "Breiz Atao" sous prétexte qu'elle parlait le breton et qu'elle n'a pas apprécié l'amalgame que faisaient "tout le temps" les Résistants de la dernière heure avec les mouvements bretons qui ont collaboré avec les Allemands pendant la guerre.
Elle fréquente l'école publique de Yerres, aujourd'hui dans le département de l'Essonne, et y est confrontée à la même situation diglossique qu'ont connue plusieurs générations d'enfants Bas-Bretons jusque-là : "à l'école, explique-t-elle, c'était en français et à la maison, c'était en breton. On faisait la différence." Classique, de la part d'enfants : aujourd'hui, les élèves de Diwan font de même, si ce n'est qu'ils parlent breton à l'école et français chez eux.
Mais partout où elle passe, Lena Louarn organise des cours de breton, jusqu'à devenir la première enseignante de l'école Diwan de Rennes en 1978. Elle y était donc revenue entre-temps, en 1962 précisément, très déçue de ne plus vivre dans un domaine et surtout de constater que la Bretagne qu'elle découvre en rentrant "n'était pas comme je l'imaginais".
Ah ! si l'Éducation nationale ne bloquait pas l'enseignement bilingue…
Quand la journaliste de "Bretons" lui demande de dresser un panorama de l'enseignement du breton aujourd'hui, la vice-présidente du Conseil régional s'enflamme :
- "on a fait un sacré boulot. On a presque réussi à inverser la vapeur. On a mis en place un système de réappropriation de la langue par l'enfant, par l'adulte, qui freine [la] perte de locuteurs."
Le propos se veut résolument optimiste, avec une pointe de réalisme cependant, puisque la diminution du nombre de locuteurs n'est que ralentie et que la courbe n'est donc pas encore sur le point d'être inversée. C'est qu'il y a des blocages, et Mme Louarn ne prend pas de gants pour expliquer une fois de plus que ces blocages
- "viennent surtout de l'Éducation nationale. Nous rencontrons des freins très durs de la part de l'Éducation nationale. Si [elle] comprenait qu'une classe bilingue c'est un plus et non un handicap, cela exploserait."
Aïe aïe aïe ! Pour ce qui est de l'enseignement du breton, ce n'est apparemment pas l'entente cordiale tous les jours entre la Région et le Rectorat de l'académie de Rennes. Mais affirmer simultanément qu'on a inversé la vapeur et que c'est l'État qui bloque tout, ce ne serait pas faire le grand écart ?
Lena Louarn : candidate aux régionales ou pas ?
Je ne peux pas tout rapporter ici de ce que dit Lena Louarn (ci-dessus, en mairie du Conquet en août 2014, photo d'archive) dans cette interview. Mais est-ce un hasard si elle paraît à trois mois des prochaines élections régionales ? On l'a également beaucoup vue sur le terrain avant et pendant l'été, présider diverses manifestations et signatures, et donc dans la presse, y compris dans "Bretons" à un moment bien choisi ! Est-ce à dire qu'elle sera à nouveau candidate aux élections régionales de décembre prochain et sur la liste du PS ?
Pour l'instant, ni elle-même ni les responsables socialistes n'ont rien dévoilé de leurs intentions. Les seuls noms que l'on connaisse jusqu'à présent sur chacune des listes départementales sont ceux des socialistes qui seront effectivement candidats. Mais dans chaque département, il reste plusieurs places à pourvoir, y compris à un niveau éligible, et la société civile devrait y contribuer largement.
Or Lena Louarn était déjà considérée en 2010 comme une personnalité qualifiée. Au PS, on semble considérer qu'elle a réalisé un travail conséquent au cours de la présente mandature. Il ne serait dès lors pas du tout surprenant qu'elle fasse partie de l'équation (comme on dit dans ces cas-là) pour la prochaine élection. Plusieurs socialistes laissent entendre d'ores et déjà qu'elle aura bel et bien sa place sur une de leurs listes.
Le contraire serait surprenant, pour deux raisons. On la voit mal rejoindre la liste résolument bretonne de Christian Troadec et de l'UDB, avec laquelle elle pourrait pourtant avoir pas mal d'affinités. Alors que Jean-Yves Le Drian l'a recrutée en 2010 et qu'elle demande à repartir, de la même manière on voit mal le PS se priver de la présence et de l'image d'une Lena Louarn qui représente de fait l'action de la Région dans le domaine des langues de Bretagne depuis cinq ans. Mais dans cette hypothèse, elle doit s'attendre à devoir affronter des débats qui pourraient être vifs au cours de la prochaine campagne électorale sur ce qu'il est convenu d'appeler la question bretonne.
Reste à savoir dans quel département elle serait candidate. En 2010, elle l'était dans le Finistère, alors qu'elle n'y réside pas : ça avait fait un peu jaser à l'époque, et depuis. Pourrait-elle être candidate cette fois en Ille-et-Vilaine, puisqu'elle réside à Rennes ? On le saura forcément quand les arbitrages auront été rendus et que sa candidature sera officiellement annoncée.