Finlande et Basse-Bretagne : la transmission du chant traditionnel
La première surprise du 52' diffusé le 15 décembre dans le magazine Bali Breizh est sans doute de découvrir que de vraies relations culturelles se sont établies entre Bretons et Finlandais, alors qu'ils sont géographiquement bien éloignés les uns des autres. Ce que nous apprend le documentaire de Ronan Hirrien "Pa guzh an heol" (Quand le soleil se couche), est qu'ils contribuent ensemble actuellement à un projet européen dont l'acronyme paraît avoir été directement emprunté au breton puisqu'il s'agit de EOST (qui signifie la moisson), alors qu'il représente le sigle de l'European Oral Singing Traditions.
Ce sont ces échanges finno-bretons qu'a filmés le journaliste pour s'interroger sur le pourquoi et le comment de la transmission du patrimoine chanté, tant aux enfants qu'aux adultes. Disons-le tout de suite : le film décrit bien les différents canaux de la transmission au fil du temps, mais n'explore pas réellement les motivations de ceux qui en sont les porteurs.
La rupture de la transmission
La problématique des temps nouveaux tient au fait que ce n'est plus de leurs parents que les enfants apprennent les gwerziou et autres anciennes complaintes : la rupture de cette transmission familiale paraît s'être produite de la même manière en Basse-Bretagne et en Finlande, et sans doute ailleurs.
À cet égard, la présence de Jeanine Lagadic dans le film est pédagogiquement mise en scène et symptomatique : alors qu'elle a elle-même appris les chants traditionnels de son répertoire "à force de les entendre chanter" tout simplement, elle intervient aujourd'hui dans la classe bilingue de Loig Jade pour l'accompagner, lui l'instituteur, dans l'apprentissage des mêmes chants par ses élèves. La démarche est assez exemplaire, mais ne peut être pleinement mise en œuvre que dans un contexte conduisant lui-même à la maîtrise du breton.
Si les gwerziou n'avaient pas d'abord donné lieu à collectage et à restitution sous la forme de transcriptions écrites et de publications tout au long du XIXe siècle, puis sous celle d'enregistrements sonores reproductibles et de vidéos au XXe siècle, combien les connaîtraient aujourd'hui ? Yann-Fañch Kemener, chanteur de référence s'il en est, apparaît tout ému lorsqu'on le voit à l'image découvrant pour la première fois les originaux des carnets d'enquête de La Villemarqué qu'il n'avait jamais vus.
La chanteuse Brigitte Kloareg est très présente dans le film, ce qui ne surprend pas quand on sait combien elle s'implique depuis toujours dans les différents pays celtiques pour la promotion du chant vocal. Si on la suit, chanter est – était, ou devrait être – aussi naturel et aussi facile que marcher, et que nous pourrions tous le faire. Je veux bien l'admettre. Elle prétend aussi que le chant vient aux tout petits dès avant [la connaissance de] la langue. C'est une jolie formule. Mais comment le chant peut-il précéder la langue ? Ils sont indissociables, en fait. Ne serait-il pas plus juste de considérer que le chant tout comme la parole qu'entend le nouveau-né – et quelle que soit la langue de ses parents - contribuent à des capacités d'expression en devenir ?
Interpréter les gwerziou aujourd'hui
Pekka Hutu-Hiltunen est l'autre personnalité incontournable du documentaire. Ce Finlandais s'inscrit dans la filiation d'Elias Lönnrot qui avait collecté et publié le Kalevala là-bas dès 1835, quatre ans avant la parution ici du Barzaz Breiz. Il a retrouvé en Carélie le dernier chanteur dont le répertoire provient d'une transmission familiale. En passeur de la mémoire chantée, il s'emploie lui aussi à la transmettre aux jeunes générations. Les gwerziou là-bas s'appellent des runolaulu, que l'on chante un peu à la manière d'un kan-ha-diskan, sur un rythme bien plus lent cependant puisqu'il s'agit d'une mélodie plus que d'un chant à danser.
La réalisation de ce film a dû être une gageure. Impossible de donner à entendre les complaintes dans leur intégralité, comme l'aurait voulu la tradition. Comment par ailleurs illustrer les amours et les crimes qu'elles rapportent ? Je me suis assez longtemps demandé pourquoi ces images un peu plaquées de paysages maritimes, de forêts, de neige ou de ciels jusqu'à ce qu'on nous explique qu'en réalité la nature imprègne le chant finnois autant que breton.
"Pa guzh an heol" aura forcément intéressé ceux qui se passionnent pour le chant traditionnel. Aura-t-il seulement retenu l'attention de ceux qui ne vivent que par les musiques actuelles ? Toute la question que posent le film de Ronan Hirrien autant que son écriture n'est que de savoir comment donner à entendre aujourd'hui des gwerziou d'un autre temps. Yann-Fañch Kemener et bien d'autres interprètes inventent assurément de nouveaux modes de transmission. Mais l'interprétation, dit-il, est fonction du public auquel on s'adresse. Là se situe bien désormais tout l'enjeu d'une transmission. Les Japonais ont bien réussi la transition avec le haïku et l'Afrique avec ses chanteurs de renom.
Pour en savoir plus
Pa guzh an heol, un film de Ronan Hirrien, coproduit par JPL Films et France Télévisions. À voir ou à revoir (en VO ou en version sous-titrée en français) sur http://bretagne.france3.fr/emissions/france-3-breizh/actu/bali-breizh-sul-15-viz-kerzu-pa-guzh-heol.html
Deux remarques sur la version sous-titrée diffusée le 15 décembre. N'aurait-il pas été judicieux de transcrire les traductions de chants en italique, pour les différencier des autres propos ? Quand en breton on évoque les 150 ans du Barzaz Breiz, le sous-titrage ne fait état que de 50 ans : ignorance ou distraction ?
Une version en langue bretonne de cette recension paraîtra dans le prochain numéro de la revue Brud Nevez.