Les langues régionales à l'Assemblée : ce sera le 22 janvier
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a annoncé lors de sa venue à Rennes, vendredi 13 décembre, pour la signature du Pacte d'avenir pour la Bretagne, que la France allait enclencher pour de bon le processus de la ratification de la Charte européenne des langues régionales.
Dans un entretien qu'il m'a accordé hier soir, Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère, président de la Commission des lois, confirme qu'une proposition de loi sera bel et bien examinée par l'Assemblée nationale : la date est arrêtée au mercredi 22 janvier 2014 (et non au 20, comme évoqué jusqu'à présent). Le Sénat serait invité à son tour à se prononcer. Un référendum serait ensuite organisé en vue d'une modification de la Constitution sur ce point précis.
- Ce sera discuté dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale le 22 janvier. Je serai le rapporteur du texte. Ce sera voté ce jour-là.
Qu'est ce qui justifie que ça aille aussi vite alors que ça avançait aussi lentement auparavant ?
- On a fini par convaincre le gouvernement. À force de répéter le même argument, ça a fini par porter. Alors que le Président de la République en avait pris l'engagement, le gouvernement pensait qu'il n'avait pas de majorité pour cela. Nous souhaitions qu'il nous permette de lui montrer qu'il l'avait. Il fallait donc laisser le débat s'installer. Il n'y a rien de pire que de baser des convictions sur une impression. Il valait mieux que les opinions s'expriment et qu'un vote intervienne.
L'avis négatif émis il y a quelques mois par le Conseil d'État n'a plus lieu d'être ?
- Cet avis portait sur un projet de loi du gouvernement. Comme ce dernier a choisi d'appuyer notre proposition de loi, ça change la donne. Trois propositions de loi ont été déposées la semaine dernière, de manière coordonnée : une par les radicaux gauche, une par les Verts et une autre par le PS. Le gouvernement a considéré que sur cette base convergente il y avait de la place pour laisser se développer une initiative parlementaire.
Vers l'organisation d'un référendum
Jean-Marc Ayrault appelle à l'unité sur ce sujet, au-delà des clivages partisans ? Est-ce possible ?
- Cela dépendra de l'UMP pour l'essentiel, et c'est elle qui est visée par cette main tendue. Marc le Fur et toutes les bonnes volontés seront les bienvenus. Il faudra dépasser quelques singularités repérées ici ou là.
Lors du débat qui avait eu lieu à Quimper il y a quelques mois, avant la grande manifestation organisée par Kevre Breizh, vous aviez déclaré qu'il ne suffit pas d'avoir un beau projet, encore faut-il réunir une majorité politique sur un sujet qui donne souvent lieu à des mécompréhensions et à polémiques…
- Les incompréhensions et les polémiques viendront. On espère qu'une majorité va se dégager à l'Assemblée et au Sénat.
Tout cela peut-il aboutir réellement à une réforme de la Constitution ?
- Oui, mais sur la base d'une proposition de loi, ça implique l'organisation d'un référendum et non pas un congrès du Parlement. Il peut y avoir référendum [sur la question de la ratification de la Charte], si les deux assemblées le décident. Le gouvernement est prêt à l'engager. C'est ce qu'a dit J.-M. Ayrault.
Commentaire : un événement considérable
Les trois propositions de loi auxquelles fait allusion Jean-Jacques Urvoas sont les suivantes :
- Celle déposée par Paul Molac et ses collègues, en date du 31 octobre 2013
- Celle de Bruno Le Roux, Jean-Jacques Urvoas et de leurs collègues, du 10 décembre 2013, non encore éditée
- Celle de Paul Giacobbi et de ses collègues, du 16 décembre 2013.
Les deux propositions dont le texte est publié sur le site de l'Assemblée nationale préconisent, dans les mêmes termes, de modifier l'article 53 de la Constitution, qui figure au titre VI relatif aux traités et aux accords internationaux. Un nouvel article 53-3 y serait inséré, ainsi rédigé :
- « Art. 53-3. – La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, complétée par sa déclaration interprétative. »
C'est explicite. Mais le chemin est encore long. Une fois adoptée par l'Assemblée nationale, ce sera au tour du Sénat de se prononcer sur cette proposition de loi. Ce n'est qu'ensuite qu'un référendum pourrait être organisé. L'organisation d'un référendum sur le statut des langues de France et sur la ratification de la Charte serait assurément un événement considérable, pour deux raisons au moins : en raison du contexte historique français, d'une part, et en raison du contexte politique du moment, d'autre part. Il ne fait aucun doute qu'un tel référendum serait également une question d'opportunité politique. Le chemin vers la ratification pourrait être encore assez long.
Vers une décentralisation d'un type nouveau
Jean-Jacques Urvoas a également répondu aux questions que je lui ai posées sur la décentralisation et les nouvelles compétences qui pourraient être dévolues aux régions.
Que va-t-il se passer sur ce plan, après les annonces de J.-M. Ayrault à Rennes ?
- Cela dépendra de l'écriture du texte qui viendra en discussion en avril. Ce qui est important, c'est que le Premier ministre a fait une ouverture sur ce qu'il a appelé le pouvoir normatif aux régions. Jamais un Premier ministre n'avait fait une telle déclaration jusqu'à présent. Autant sur la Charte, c'est la concrétisation de ce que le Président de la République avait dit, autant le pouvoir normatif aux régions est quelque chose que personne n'avait jamais assumé à ce niveau de responsabilité de l'État.
Quelle chance concrète y a-t-il que cela aboutisse ?
- La majorité suivra sur un texte comme celui-là. Il n'y a pas de majorité qualifiée à atteindre, il suffit d'une majorité simple. Tous les partis disent toujours qu'ils veulent donner plus de pouvoir aux collectivités locales. Encore une fois, il faudra voir ce qui se cache derrière les mots : derrière les meilleures intentions du monde, on peut finir par des réalisations qui n'en sont pas. J.-P. Raffarin en 2003 voulait une réforme constitutionnelle favorisant les régions : ça a fini par favoriser les départements, parce que le lobby des présidents de conseils généraux avait été extrêmement efficace au sein des deux assemblées.
Il ne le sera plus ?
- Si, il le sera tout autant. La question sera de savoir comment le texte sera rédigé. Est-ce qu'on arrivera à coaguler une majorité pour le défendre ? Tant qu'on ne connaît pas le contenu du projet, il est difficile de se prononcer.
Pas de statut particulier
- Il faudra une majorité pour adopter ce texte, à la fois à l'Assemblée et au Sénat. C'est plus politique, mais c'est un projet voulu par le gouvernement, sur base d'un projet de loi, et non pas d'une proposition de loi d'origine parlementaire.
- Cela va dans le bon sens. On est au bord de quelque chose qui sera une vraie avancée pour les régions. Je ne crois pas qu'il faille défendre l'idée d'un statut particulier pour la Bretagne. Revendiquer des privilèges comme celui-là ne me paraît pas un bon chemin.
- Il faut défendre la possibilité et les moyens pour les régions - en fonction de leur territoire, de leur histoire, de leurs spécificités - d'avoir des pouvoirs supplémentaires. Il faut que l'ensemble des régions de France soient fortes. Comme le Premier ministre a ouvert la possibilité de la différenciation, les compétences ne seront pas nécessairement les mêmes pour tout le monde. Tout le monde à y gagner.
Une version en langue bretonne de cette intervierw de J.-J. Urvoas sera publiée prochainement dans la revue Brud Nevez.