J.-L. Mélenchon et les langues régionales : la réaction de l'historien Philippe Martel
En attendant que les autres candidats à l'élection présidentielle s'expriment sur le sujet, les déclarations de Jean-Luc Mélenchon concernant les langues régionales continuent de susciter bien des réactions. Dans une interview vidéo non datée (mais qui n'est peut-être pas très récente), il s'explique sur ses positions quant aux langues régionales, face aux attaques dont il estime avoir été l'objet sur cette question, et ce dans des termes quelque peu différents de ceux qu'il avait exprimés lors d'un meeting à Brest il y a un mois (voir message du 26 novembre).
L'historien Philippe Martel, dont les travaux sur l'occitan sont bien connus, réagit à cette interview vidéo dans les termes suivants.
Des progrès, mais peut mieux faire, en termes de connaissances historiques et linguistiques…
Donnons-lui acte [à J.-L. Mélenchon] de ce qu'il reconnaît avoir lui-même été parfois assez loin dans le feu de la polémique. Il ne doit donc pas s'étonner que certaines réponses emploient le même ton. Donnons-lui acte également de la façon somme toute décrispée dont il aborde le problème dans les dix minutes, à peu près, de son propos. Nous nous bornerons à quelques remarques, tout aussi décrispées, car le ton de l'invective nous semble totalement inutile et déplacé dans ce contexte.
J.-L. Mélenchon commence par une présentation rapide des langues présentes sur le sol français. Est ainsi évoqué le basque, aux origines très anciennes, nous dit-il assez classiquement. Nous apprenons avec surprise que pour lui, ce que parlait Jaurès, c'était du provençal. Le mot « occitan » lui semble-t-il à ce point illégitime ? Et nous lui pardonnerons de se présenter lui-même comme un Méridional sensible à "une langue qui chante à [ses] oreilles" même si c'est un cliché qui n'apporte rien au débat.
On peut par ailleurs se demander pourquoi il croit à l'existence de cinq bretons différents là où les spécialistes opposent d'ordinaire un bloc de trois parlers très proches, le KLT, face à un vannetais présentant des spécificités accusées. Du moins ne reproduit-il pas la sottise de feu Dauzat, identifiant dans Le Monde en 1950 pas moins de 77 bretons différents : il s'était borné à compter les points d'enquête de l'Atlas linguistique de Basse-Bretagne de P. Le Roux… C'est à ce genre de détails qu'on mesure qu'au fil des décennies le débat progresse.
Il regrette que les langues régionales ne soient pas assez parlées, ce en quoi nous le rejoindrons volontiers, et il reconnaît les mérites du bilinguisme précoce, en se donnant lui-même en exemple, puisqu'il avait deux langues d'enfance. Là-dessus, on ne peut qu'être d'accord.
Mais on a davantage de mal à comprendre ce qui suit, et l'extraordinaire brevet de progressisme qu'il décerne à l'ordonnance de Villers-Cotterêts, dont il ne connaît manifestement que les deux articles concernant la langue ; il ignore donc que cette ordonnance très contraignante constitue une étape importante de la construction de la monarchie absolue, que l'on n'est pas habitué à considérer comme particulièrement progressiste. À moins qu'il estime que l'interdiction des coalitions ouvrières, qui figure dans l'ordonnance, est effectivement progressiste - certains au MEDEF seraient assez d'accord.
Son tableau de la situation linguistique du temps est assez surprenant. On apprend que les élites parlaient latin : elles se bornaient à l'écrire, de moins en moins d'ailleurs. Et dans le sud, dans bien des cas, c'est l'occitan autant que le français, malgré les progrès de ce dernier, qui était employé dans les actes, y compris parfois devant la justice. Mais où diable a-t-il vu que l'imposition du français permettait à tous de mieux comprendre le langage de la justice ? C'est déjà problématique aujourd'hui, en des temps d'alphabétisation et de francisation achevée, alors au XVIe siècle ?
Et s'imaginer que le souci de François Ier était que les pauvres bougres qu'il envoyait pendre puissent comprendre pourquoi relève d'un optimisme assez réjouissant. Tout aussi réjouissante l'histoire édifiante des pauvres serfs fugitifs qui se faisaient rattraper parce que sortis de leur terroir ils ne comprenaient plus rien à ce qui se disait. L'idée que depuis le Moyen-Âge au moins les phénomènes migratoires, temporaires et définitifs aient permis la rencontre régulière entre gens parlant des idiomes plus ou moins différents ne l'effleure manifestement pas. C'est pourtant une réalité, jusqu'au XIXe siècle, antérieure bien sûr à la diffusion du français, dont ces migrants se passaient fort bien surtout quand, comme les Occitans, c'est majoritairement vers l'Espagne qu'ils migraient.
L'enseignement obligatoire des langues régionales ?
J.-L. Mélenchon a commencé visiblement à se renseigner sur l'histoire des langues de France. Nous l'invitons à poursuivre cette étude distrayante à sa façon, et tout à fait instructive, y compris pour un candidat aux présidentielles.
Il en vient ensuite à la question des "duretés" des instituteurs punissant les petits "patoisants", mais c'est pour les minimiser. Plusieurs travaux de chercheurs travaillant sur les langues de France ont depuis maintenant assez longtemps permis de donner de la politique scolaire en matière de langue un tableau un peu plus nuancé que celui qui a longtemps été tracé. Mais ces nuances n'empêchent pas de constater que sans être générale la persécution, à base de délation, a bel et bien duré jusqu'à une époque très récente, et qu'elle fonctionne encore dans les DOM-TOM. Quant à comparer les punitions reçues pour avoir parlé "patois" à celles qui sanctionnaient des fautes en orthographe, en histoire ou en calcul, c'est aller un peu loin. Les enfants qui parlaient occitan ou breton ne commettaient ni erreurs ni fautes : ils se bornaient à parler innocemment leur langue. On ne mélange pas tout.
Après s'être déclaré partisan de l'enseignement des langues régionales, ce dont nous lui donnons acte bien volontiers, J.-L. Mélenchon formule deux refus : d'abord celui du caractère obligatoire de cet enseignement. On en est à l'heure actuelle suffisamment loin pour que la question n'ait pas à se poser. Viendrait-elle à l'être, un certain nombre de ceux qui militent pour ces langues ne seraient pas forcément partisans d'une telle obligation, bien au contraire.
Second refus, à propos de la Charte des langues régionales dont il se félicite que le Conseil Constitutionnel en ait refusé la ratification. Ce culte de la Constitution gaullienne, combiné à l'éloge d'un Conseil Constitutionnel dont on connaît les tropismes politiques surprend de la part d'un homme incontestablement de gauche. Quant à attribuer à cette charte une origine douteuse (entendons allemande), c'est aller un peu loin.
Bref, si les propos tenus dans cette vidéo apportent une amélioration bienvenue par rapport à d'autres tenus naguère, il reste quand même à J.-L. Mélenchon des progrès à faire.
Philippe Martel
Pour en savoir plus : voir les déclarations de J.-L. Mélenchon en vidéo (en bas de page).