Une politique jeunesse pour la Bretagne
Le Conseil régional discute aujourd'hui d'une Charte d'engagement pour les jeunes de Bretagne. C'est une initiative pertinente, d'autant que la jeunesse est présentée comme "la première énergie renouvelable de la Bretagne" dans le rapport de 70 pages qui a été remis aux conseillers régionaux. Ce rapport est très dense et se divise en deux grandes parties : un état des lieux et des propositions.
La région Bretagne compte 557 724 jeunes de 15 à 29 ans (chiffre de 2008), mais leur pourcentage par rapport à l'ensemble de la population bretonne est en diminution. Il y a à cela deux explications : la baisse de la natalité, et l'émigration : 15 000 jeunes quittent en effet la région chaque année, les deux-tiers pour raisons professionnelles, un tiers pour poursuivre des études. La population de la région va cependant augmenter de 24 % d'ici 2040, mais elle vieillit : elle gagne des actifs de 30 à 50 ans, et des retraités. Les jeunes se concentrent dans les aires urbaines proposant des pôles de formation et des emplois attractifs.
Le rapport préconise toute une batterie de mesures pour
- améliorer la condition de vie des jeunes: accès à l'information et au logement, amélioration de la santé, la mobilité européenne…
- et développer leurs facultés d’initiative et d'engagement : accès au numérique, projets culturels, pratique du sport, projets innovants…
Pas moins de 45 engagements sont listés, qui – s'ils sont adoptés et concrètement mis en œuvre – devraient changer pas mal de choses pour la jeunesse bretonne.
Les jeunes et la langue bretonne
La situation est jugée préoccupante pour ce qui est de la pratique du breton par les jeunes. Le rapport considère que "les seules données disponibles" seraient celles relatives au nombre et la proportion de moins de 18 ans scolarisés dans l'enseignement bilingue, les 13 445 élèves scolarisés en bilingue dans les cinq départements représentant 1,56 % des jeunes Bretons. D'autres données sont pourtant disponibles. Le dernier sondage réalisé par TMO Régions en 2007 sur la pratique du breton indique par exemple que le pourcentage de ceux qui sont à même de s'exprimer en breton parmi les 15-19 ans est en augmentation et s'élève à 4 %, alors qu'il avait baissé au cours de la période précédente.
Le rapport avance par ailleurs que la transmission familiale du breton "a été en recul constant par rapport au siècle dernier" : c'est une formulation réductrice qui ne prend pas en compte l'état de la recherche en sociolinguistique sur la question.Il n'est pas faux d'écrire par ailleurs que cette transmission semble se trouver "pour la première fois dans ne dynamique de croissance".
Mais c'est peut-être se rassurer à bon compte. Lorsqu'au milieu du XXe siècle la transmission intergénérationnelle s'est progressivement interrompue, ce sont des dizaines de milliers de jeunes qui le pratiquaient encore en Basse-Bretagne et nombreux ont été pendant longtemps les jeunes dont le breton n'a pas été la langue première, mais qui l'apprenaient par immersion dans leur entourage. Aujourd'hui c'est essentiellement dans le cadre scolaire que l'apprentissage est possible pour le plus grand nombre : mais il ne concerne pour l'instant qu'un pourcentage réduit des jeunes.
C'est la raison pour laquelle j'ai formulé dans un rapport au recteur d'Académie une série de 12 préconisations, impliquant la mise en œuvre de plus de 60 mesures concrètes, pour développer l'enseignement du et en breton. La "Charte d'engagement pour les jeunes en Bretagne" semble s'en inspirer directement quand elle énonce que la Région continuera à intervenir auprès de l'État pour que ce dernier
- "mette en place des solutions efficaces de continuité entre les niveaux d’enseignement : limitation des ruptures entre maternelle et primaire d’une part, entre primaire et collège et collège et lycée d’autre part, trop fréquentes aujourd’hui."
Sur les 45 "engagements jeunesse" que contient la Charte, le numéro 33 est dès lors rédigé dans les termes suivants :
- Le Conseil régional mettra en œuvre des politiques spécifiques d’encouragement à l’apprentissage de la langue bretonne pour les jeunes formés ou en cours de formation dans un métier où le besoin de locuteurs est connu et qui pourrait ainsi leur offrir un débouché (crèches, assistants maternels, ATSEM...).
- Il demandera à l’État de mettre en place les outils de mesure de la pratique de la langue bretonne, en particulier chez les jeunes, et soutiendra la réalisation des études sociolinguistiques nécessaires à l’adaptation des politiques linguistiques pour plus d’efficacité.
Si la Région envisage de contribuer au développement de la recherche universitaire en sociolinguistique sur la pratique du breton, c'est une très bonne nouvelle. Si elle encourage à la formation de nouveaux locuteurs dans les métiers où le manque de bretonnants est constaté – et c'est également vrai pour les enseignants – ce ne peut être que bénéfique à terme.
Mais les collectivités territoriales ne pourraient-elles en faire un peu plus ? Pour créer une dynamique en faveur de la langue bretonne et valoriser son image dans la région et particulièrement parmi les jeunes, elles pourraient prendre toutes sortes d'initiatives : par des campagnes d'information, une quinzaine de la langue bretonne et d'autres mesures, créer un mouvement d'empathie qui n'est pas suffisamment partagé aujourd'hui. Voir la préconisation n° 12 de mon rapport.
L'avis du Conseil Culturel de Bretagne
Au cours de sa session du 10 septembre dernier, le Conseil Culturel de Bretagne a émis un avis sur la Charte d'engagement pour les jeunes en Bretagne. Il souhaite dans cet avis que les programmes scolaires nationaux intègrent "les fondamentaux de la matière de Bretagne." Dans la mesure où l'engagement n° 44 de la Charte prévoit de mieux faire partager l'identité maritime de la Bretagne, il suggérait qu'un projet équivalent soit "décliné pour permettre aux jeunes d'avoir une meilleure conscience de l'identité culturelle de la Bretagne."
Le CCB appelait enfin le Conseil régional à "intensifier son action" en faveur de l'enseignement des langues de Bretagne, en considérant que cette question "est essentielle pour la formation intellectuelle, culturelle et identitaire des jeunes." C'est cette dernière phrase qui m'a fait m'abstenir lors du vote. Je suis d'accord pour développer l'enseignement des langues. Je partage aussi l'idée que la diffusion de la matière de Bretagne peut contribuer à la formation intellectuelle et culturelle des jeunes (et des moins jeunes) : des approches différentes, évolutives et éventuellement contradictoires de cette matière de Bretagne peuvent effectivement contribuer à la formation de la jeunesse. Mais que serait une "formation identitaire" ? Si la formation doit devenir "identitaire", ne risque-t-on pas de figer la notion d'identité et tout ce qu'on entend par "matière de Bretagne" ?
Pour en savoir plus :
Le texte complet de Charte d'engagement pour les jeunes en Bretagne peut être téléchargé sur le site de la Région Bretagne.
Le rapport sur l'enseignement du et en breton est disponible en version papier ou PDF aux éditions Emgleo Breiz.