Le site Breiz Atao est-il fermé ?
Il est suspendu en tout cas, et c'est déjà une bonne nouvelle. J’avais commencé par hasard il y a une quinzaine de jours à analyser les propos ahurissants, et odieux de surcroît, qu’on pouvait lire en permanence sur ce site. On a beaucoup entendu parler de "Breiz Atao" au début de l'année lorsque deux sonneurs champions de Bretagne y ont été diffamés en raison de la couleur de leur peau, puis lorsqu’une conseillère générale nouvellement élue à Brest l'a été en mars pour le même motif. Les deux pages litigieuses avaient été retirées du site entre-temps, très certainement à la suite des plaintes qui avaient été déposées à son encontre pour injures raciales.
Cela n'avait pas empêché "Breiz Atao" de récidiver au moins deux fois depuis :
- Le 24 juin, suite à l'élection d'une femme de couleur comme Miss Finistère, en écrivant que "ces gens-là ne seront jamais de notre peuple"
- Le 13 juillet dernier en reproduisant une photo parue quelques jours auparavant dans un quotidien régional et représentant deux jeunes noirs en costume breton, donnant le bras à des danseuses également en habit traditionnel. La scène y était présentée comme de "la guignolerie folklorique" et le commentaire d'un certain Gavin était gavant, tout ce qu'il y a de plus avilissant pour la "Bretonne [soi-disant] sans fierté" (et je ne retranscris pas ici tout ce dont on la qualifiait).
Un site hébergé aux États-Unis
J'écris désormais à l'imparfait, car depuis environ 23 heures mardi dernier, le site n'est donc plus accessible. Après les dépôts de plaintes, la presse avait expliqué qu'elles ne pourraient sans doute pas aboutir, puisque le site était hébergé aux États-Unis. Wikipédia signale effectivement que la plainte déposée pour injure raciale par le sonneur Yannick Martin a été classée sans suite.
De fait, sur le site de Breiz Atao, il était précisé que le propriétaire et directeur de publication en ligne était "un citoyen des États-Unis d'Amérique, ami du peuple breton", mais son nom n'était pas mentionné. Seuls l'étaient ceux d'un conseiller juridique, Nikolaz Guillou, d'un administrateur, B. Allae, et de quatre contributeurs ponctuels : tous ces noms donnent l'impression d'être des pseudonymes. Tous les messages postés sur le site étaient par ailleurs signés de Merour, qui en l'occurrence n'est pas un patronyme, mais le terme breton désignant un "gérant" ou un "administrateur". Tous les commentaires étaient également publiés sous des pseudos, de toute évidence entre gens de connivence. Sauf exception : un internaute septuagénaire et bretonnant ayant osé une fois faire état de sa sincère indignation dans un commentaire, tous les habitués l'ont aussitôt houspillé avec autant de condescendance que de mépris.
Ce qui est certain, c'est que le nom de domaine breizatao. com est bien déposé aux États-Unis le 23 mars 2010, auprès du registrar eNom. L'hébergeur, qui paraît être aussi l'administrateur du site, est la société Hotgator. com, dont le siège est à Houston et dont le CEO est Brent Oxley.
Il existe par ailleurs un nom de domaine breizatao. org, qui a été déposé tout récemment, le 12 avril 2011, comme par hasard chez le même registrar eNom, à Fareham en Grande-Bretagne cette fois. L'administrateur de ce nom de domaine est un certain Boris Le Lay, qui déclare résider dans la ville de Chiba au Japon. Boris Le Lay n'est pas tout à fait un inconnu, puisque l'encyclopédie négationniste Metapedia (rien à voir avec Wikipedia, même si la mise en page est identique) lui consacre une fiche en tant que Boris (Hervé) Le Lay-Bohan, né à Quimper en 1981, et le présente comme un ancien membre du parti d'extrême-droite Adsav et comme "un nationaliste européen se revendiquant de la révolution conservatrice" (sic). Les infos en ligne de France 3 Bretagne, en date du 11 avril dernier, le signalent comme ayant été démasqué en tant qu'administrateur du site Breiz Atao, à l'occasion d'un récent procès en diffamation qui lui avait été intenté par Françoise Morvan.
Attaques ad hominem
Breiz Atao se présentait comme rien de moins que "la voix de Breizh, l’État national breton." Cet État virtuel était tout ce qu'il y a de plus répugnant : il s'était fait une spécialité des attaques ad hominem et ne cessait d'injurier et de diffamer tous ceux qui ont un tant soit peu de notoriété en Bretagne. Il suffisait de peu de chose pour être très vite accusé d'être socialo, communiste, gauchiste, d'être tout simplement de droite, ou pire encore d'avoir viré de l'extrême-droite vers la nouvelle droite. Autrement dit, on ne pouvait pas y échapper.
L'un des derniers visés, tout récemment, n'est autre que Goulc'han Kervella le 19 juillet dernier. Chacun sait tout le travail qu'il réalise depuis 30 ou 40 ans en tant qu'auteur de théâtre en langue bretonne et en tant que metteur en scène. Chacun sait l'intérêt que suscite chacune de ses créations aux yeux du public. Eh bien, le voilà accusé d'être tout simplement le "directeur en chef de l’artistaillerie gauchiste locale, tendance archéo." L’artistaillerie ? C'est sûrement la première fois que vous croisez ce mot, mais la droite extrême, Jean-Marie Le Pen le premier, a l'habitude de forger ainsi des néologismes pour d'autant mieux fustiger et dénigrer à tour de bras.
Qu'est-ce qui valait à Goulc'han Kervella d'être ainsi traité de "félon" sur ce site ? Tout simplement le fait que la pièce "Divroa" (Émigrer), au répertoire de la troupe Ar Vro Bagan depuis deux ans, a été programmée cet été au festival de Cornouaille à Quimper. La pièce traite avec humanité d'un sujet qui concerne les Bretons depuis des générations : l'émigration hors de Bretagne de dizaines de milliers de personnes (et il n'est pas anodin que le Festival interceltique de Lorient ait mis les diasporas aussi à l'honneur cette année) et l'immigration en Bretagne de personnes de toutes origines venant s'y installer pour toutes sortes de raisons. Le rédacteur s'est contenté de lire la presse et n'est évidemment pas allé voir la pièce. Ça lui suffit pour la considérer comme une "sous-production" et pour décréter que la culture bretonne n'est qu'un "amas de bouses franco-socialisant." Effarant.
Il est vrai que dès qu'il est question d'immigration, ça leur donne des boutons, à ces Breiz Atao. J'avais moi-même présenté sur ce blog un catalogue de films édité par les médiathèques de Brest et dont les migrants constituaient l'une des thématiques (voir message du 30 décembre 2010). Ça m'a aussitôt valu d'être vilipendé sur leur site comme un "rouge" (mais ce n'était pas la première fois !), un "harki", un "fossile", "un incongru personnage." Quand j'ai présenté mon rapport sur l'enseignement du et en breton, j'ai été désigné comme un "imposteur" et accusé d'être "stipendié par l'État français". Cette page aussi avait été retirée peu de temps après sa mise en ligne, c'est bizarre : est-ce à dire que le gérant du site ne supportait pas d'être contredit, même par ses amis ?
Nombreux sont ceux qui ont été pris à partie sur le site de Breiz Atao (et je me garderai bien évidemment de reproduire ici toutes les insultes dont on les a abreuvés) :
- Jean-Laurent Bras, journaliste à Ouest-France, a été désigné comme "ennemi politique"
- Christian Guyonvarc'h, élu régional UDB, a été traité de "pourrisseur de peuple" (sic)
- Le journaliste Georges Cadiou a été accusé d'être "l'auteur d'un ouvrage de propagande marxiste"
- Fabien Lécuyer (dont le dernier numéro du magazine "Bretons" propose l'itinéraire en "infatigable frondeur") a été critiqué pour avoir transformé l'Agence Bretagne Presse en "succursale régionalo-gauchiste"
- Les ouvrages de l'historien Joël Cornette ne seraient que des "vieux bouquins de grand-père".
C'est tellement caricatural que c'en serait presque risible. Mais il n'y a pas de quoi rire. C'est l'horreur. Et ça n'en finissait pas.
La fachosphère bretonne
Les Breiz Atao du XXIe siècle ne font pas que pourfendre. Ils ont aussi leurs références et leur idéal, et c'est ce qui en fait des individus encore plus inquiétants. Quelques noms revenaient constamment sur leur site comme autant de références :
- Olier Mordrel, le théoricien de la collaboration bretonne avec l'Allemagne nazie.
- Goulven Pennaod, nationaliste breton d'extrême-droite, admirateur de Hitler (voir message du 1er décembre 2010 sur ce blog).
- Yann Fouéré, à qui le site – comme celui d'Adsav d'ailleurs – souhaitait tout récemment un bon anniversaire à l'occasion de ses 101 ans. Mais Fouéré, quel qu'ait été son rôle pendant la guerre, ce n'est quand même pas Mordrel, et il s'agit apparemment là d'une tentative de récupération.
- Guy Etienne et Youenn Olier sont cités pour avoir été les animateurs de "Emsav Stadel Breizh", c'est-à-dire le Mouvement pour la création d'un État breton, et pour avoir su mener une "révolution intellectuelle majeure" dans les années soixante-dix.
- Yann-Ber Tillenon, qui a pignon sur rue à KerVreizh à Paris, a parfois été égratigné sur le site pour suivre une évolution à la manière d'un Alain de Benoist, mais il est "notre ami Jean-Pierre" et est considéré comme l'intellectuel de Breiz Atao et comme le seul qui peut transmettre la mémoire des anciens.
- Pierre Lemoine, avec une photo de lui recevant le Collier de l'Hermine en 1994, était annoncé le 25 février 2011 comme devant être présent au congrès d'Adsav quelques jours plus tard. Le site d'Adsav confirme qu'il y a bien fait une intervention en forme de testament et qu'il a transmis ce jour-là ses "consignes" aux jeunes (sic) pour le combat à mener pour la Bretagne et sa langue.
Il y avait en effet de multiples passerelles entre le site Breiz Atao et celui du parti d'extrême-droite Adsav. Il existe une fachosphère bretonne, comme existe la fachosphère française dont parlait Le Monde il y a quelques jours suite aux événements de Norvège. Il y aurait beaucoup à dire sur les thèses qui s'étalaient à longueur de pages sur le site de Breiz Atao. Il suffit de dire à titre d'exemple que dans cet Etat virtuel, le droit de vote ne serait plus universel, mais qu'il serait attribué à l'élite selon le mérite : comme antithèse de la démocratie, difficile de faire mieux, et il est vrai que ces égarés ont la démocratie en horreur absolue. Ce qu'ils écrivaient sur la langue bretonne était également sidérant. On peut en dire autant sur les méthodes que préconisait Breiz Atao : le vote Le Pen bien sûr, mais aussi des méthodes bien plus radicales, qui allaient de l'utilisation de l'huile de ricin à bien pire. Il ne ferait pas très bon vivre dans cet "État national breton", c'est le moins qu'on puisse dire, et ça rappellerait quelques mauvais souvenirs aux plus anciens.
Reste à savoir pour quelles raisons et par qui le site Breiz Atao a été suspendu. Est-il d'ailleurs seulement suspendu ou est-il vraiment fermé ? Attention, de toute façon aux ramifications et aux résurgences dont cette mouvance est coutumière. Il serait sûrement utile que se crée un observatoire de l'extrême-droite en Bretagne.