Peu anodine célébration
Nos quotidiens régionaux, Ouest-France comme le Télégramme, ont publié ce mercredi en page "obsèques" un faire-part célébrant le 10e anniversaire de la disparition du capitaine ER Goulven Pennaod. Le faire-part est accompagné d'une photo du capitaine en tenue.
L'avis est inséré comme provenant de "Paris, Kêrvreizh". KêrVreizh est une association qui a pignon sur rue dans le quartier de Montparnasse et dont les activités et le site internet sont animés par Yann-Ber Tillenon, un artiste et idéologue qui aime bien apparemment se faire photographier en compagnie de personnalités connues. Simultanément, un "forum nationaliste breton" invite à avoir "une pensée pour Goulven Pennaod." Un autre site internet rend hommage à "un militant dévoué".
Le personnage est avantageusement présenté comme un "éminent linguiste indo-européen et Maître en langues celtiques, il fut un des pères du néo breton contemporain. Il laisse chez tous ceux qui l’ont connu le souvenir d’un vrai philosophe pratique, d’un grand patriote breton sans compromis ni partialité et d’un créateur fort et courageux." Ces formulations peuvent quand même laisser perplexe et demandent donc un minimum de décryptage.
Goulven Pennaod est en réalité le pseudonyme de Georges Pinault, né à Saint-Malo en 1928 et décédé à Paris en 2000. Georges Pinault a effectivement été un militaire de carrière. Il s'était engagé au moment de la guerre d'Indochine et il a été fait prisonnier à Dien-Bien-Phu. Il a également été en poste au Maroc et au Congo.
Il est exact qu'il s'est aussi intéressé au breton : il a collaboré à diverses revues en langue bretonne et publié des travaux sur le breton ancien et sur le moyen-breton. Il a été l'un des protagonistes de la néologie exacerbée que prônait le mouvement SADED (que l'on peut traduire en français par "Centre d'Investigation de Dirigisme Linguistique"). Il a mené des recherches sur le gaulois, ce qui lui a valu d'être recruté comme chargé de cours par l'université de Lyon-III, avant d'en être écarté comme plusieurs autres enseignants révisionnistes ou néo-nazis.
Que Georges Pinault / Goulven Pennaod ait été un homme "sans compromis" ne fait guère de doute. Qu'il ait fait preuve d'impartialité, c'est tout le contraire.
Wikipedia le présente comme un nationaliste breton d'extrême-droite, qualifié de néo-nazi par le rapport Rousso (le rapport qui a précisément conduit à son exclusion de Lyon III). A la fin des annes 60, il était avec Alain de Benoist et Pierre Vial l'un de ceux qui animaient la revue antisémite Europe-Action. Il affirmait sans retenue dans une confidentielle revue polycopiée du nom de "La Bretagne réelle" que "le chancelier Hitler était le plus grand homme du XXe siècle."
Un autre site internet signale Goulven Pennaod comme une référence de la nébuleuse néonazie, un baroudeur et un ami personnel de l'écrivain Saint-Loup, connu pour sa participation à la Waffen SS française. On apprend ailleurs qu'il considérait Jean-Marie Le Pen, qu'il a fréquenté, comme trop modéré.
Dans son Anthologie de la littérature bretonne, Francis Favereau le décrit comme un compagnon du poète et fasciste basque Jon Mirande et décortique ses "délires" : racisme ordinaire, paganisme, anti-féminisme… Ce qu'il appelle le "mouvement breton traditionnel" n'a pas toujours été insensible, au XXe siècle, aux thèses de ce nostalgique de "l'ordre nouveau".
L'anodin faire-part d'anniversaire de décès publié dans la presse quotidienne régionale ne laisse pas supposer grand-chose de ce "grand patriote breton". Il suffit de surfer sur internet pour comprendre assez vite quelle est la motivation réelle de ceux qui font aujourd'hui le panégyrique de Goulven Pennaod.
Pour en savoir plus :
Francis Favereau. Anthologie de la littérature bretonne au XXe siècle. Tome 3. Morlaix : Skol Vreizh, 2008, p. 181-188.