Sylvain Tesson à Brest « Avec les fées ». Françoise Morvan l’épingle pour son voyage à l’ouest
L’écrivain voyageur est un auteur à succès. Il a beau affirmer avec conviction qu’il ne croit pas à l’existence des fées (tout en disant parfois le contraire), son nouveau livre apparaît déjà comme un best-seller. Sa venue à la librairie Dialogues à Brest était à peine annoncée pour ce jeudi 8 février qu’elle affichait complet. Il est aussi un écrivain séducteur : découvrez les dizaines de commentaires auxquels il a eu droit après son passage à France Inter (voir plus bas).
Comment donc va-t-il en parler si les fées n’existent pas vraiment ? Un tour de magie de l’écrivain suffit pour affubler le terme d’un nouveau sens. Un peu conceptuel tout de même, car il lui faut bien trois ou quatre phrases pour le dépeindre : « c’est une qualité du réel révélée par une disposition du regard » qui permet de déceler dans le monde « le miracle de l’immémorial et de la perfection. » Il suffit de regarder « la nature avec déférence. Soudain un signal. La beauté d’une forme éclate. Je donne le nom de fée à ce jaillissement. »
Le rêve celte d’un navigateur pas si solitaire
Ce jaillissement, Sylvain Tesson l’a vu, de ses yeux, à bord de son voilier. Accompagné par deux marins chevronnés (ce qu’il n’est pas) et d’une réalisatrice qui le filme en mer et à terre, il n’est jamais seul. Ensemble, ils longent pendant trois mois les côtes de l’ouest de l’Europe, « l’arc celtique » qui s’étend de la Galice à la Bretagne, puis de la Cornouaille au Pays de Galles et de l’Irlande à l’Écosse, sans oublier l’île de Man. Alors qu’il a vu tout ce qu’il faudrait voir à travers le monde, il se surprend à vivre un rêve celte.Disons-le tout de suite : rien à voir avec "Le rêve du Celte" du romancier péruvien Mario Vargas Llosa. En presqu’île de Crozon, Tesson ne voit que des paysages de carte postale,découvre et magnifie par exemple la plage de Lostmarc’h, déjà au risque de la surfréquentation estivale en presqu’île de Crozon. D'aucuns parlent de son odyssée celtique !
À la radio, sur France Inter, l’amoureux des paysages tourmentés évoque une géographie propice pour entrevoir les fées dans les anfractuosités de la roche et des pointes — ce serait donc possible ? Il navigue, descend de son voilier pour marcher sur la terre ferme. Il invite à « aller de l’avant quand on est sur le bord de la falaise » — ce qui est un peu risqué tout de même. Puis il revient à bord et joue du tin whistle.
Les menhirs comme antidote au monde immonde ?
Il perçoit les menhirs comme pouvant venir « au secours de nos propres désordres » et nous éloigner « du monde immonde. » Il n’aime pas la période contemporaine dans laquelle nous vivons et n’apprécie ni la machine ni les robots qu’il « déplore ». Je n’ai pas lu le nouvel opus de Sylvain Tesson ni les précédents, désolé, mais je l’ai entendu parler de « désastres » et prôner « l’échappée individuelle ». Tout ça s’apparente à du déclinisme, non ?
Et voilà Sylvain Tesson promu comme parrain des 25 ans du Printemps des poètes. Sa nomination déclenche une tempête (médiatique) comme il n’en a pas vécu en mer. 1 200 acteurs du secteur de la culture signent dans Libération une pétition de protestation le désignant comme « une icône réactionnaire ».
Pour Françoise Morvan : tous les vieux clichés de la celtomanie
« Que Sylvain Tesson soit un auteur d’extrême droite ne fait aucun doute, » écrit Françoise Morvan sur son blog, si ce n’est que tous ses lecteurs n’en ont peut-être pas une conscience aussi aiguë. Ce qui la gêne autant, sinon plus, c’est « qu’il ne [s’agit] pas d’un auteur mais d’une sorte de sous-journaliste à prétentions promu auteur par un dévoiement de la poésie employée comme faire-valoir et cache-misère. » Et pan !
- Elle interprète dans les termes suivants « la raison pour laquelle [Sylvain Tesson] se lance dans une exploration des terres celtes, vestiges sauvages, encore épargnés par la vulgarité moderne. Cette exploration est l’objet de ce livre : un banal parcours touristique en bateau présenté comme un itinéraire initiatique ».
- La banalité d’un trajet en voilier le long de « l’arc celtique » (comme d’autres traversent l’Atlantique ou rejoignent le cercle polaire) associé à une représentation idéalisée de ce que seraient toujours aujourd’hui « les terres celtes » signe aux yeux de Françoise Morvan un retour à la celtomanie des origines :
- « La fée du merveilleux qui lui ouvre les yeux sur la celtitude comme approche de l’indicible : tous les vieux clichés de la celtomanie nourrie d’un culte des origines fantasmé dans la haine de l’esprit des Lumières servent de toile de fond aux paysages revus et corrigés par ces visions mystiques de commande. »
Elle n’avait pas prévu au départ de lire « Vers les fées » : elle reconnaît qu’elle n’a pas été déçue. Faites donc un crochet par son blog. Vous n’acquiescerez peut-être pas en tout point à ce qu’elle écrit, mais vous non plus ne serez pas déçu. Elle connaît aussi très bien le microcosme parisien.
Pour en savoir plus :
- Sylvain Tesson. Avec les fées. Edition des Équateurs.
- Sylvain Tesson invité de France Inter, en replay : cliquer le lien
- Avec les fées, court-métrage de Priscilla Telmon, produit par Éditions des Équateurs et Petites Planètes. Durée : 13’23.
- Le Printemps des poètes et l’art d’être à l’ouest.. Le blog de Françoise Morvan : cliquer le lien