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Le blog "langue-bretonne.org"
5 juin 2018

Mask ha gazh : du rock "celtique" ?

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Le groupe était le premier à monter sur la scène des Petites Folies à Lampaul-Plouarzel, samedi en milieu d'après-midi. Il a beau afficher 2 000 concerts depuis sa création il y a 20 ans et annoncer un nouveau CD qui s'appelle "Expérience", ce n'est pas si facile à cette heure-là. Ça n'a pas gêné les quatre briscards du groupe, dont on découvre sur leur site que ce sont des "Bretons pure souche". Peu importe le lieu et l'heure, dès qu'ils commencent à jouer, ils fonctionnent comme un aimant, ils attirent le public à eux, 4 à 500 personnes en fin de concert tout de même. Ce n'est pas de la haute qualité musicale, m'a avoué quelqu'un qui les connaît bien, mais c'est festif et pour l'ambiance ils savent y faire.

Je tenais à entendre le "rock celtique" de Mask ha gazh, pour voir à quoi ça correspond. C'est du rock, c'est sûr, avec voix, guitares, flûtes, cuillers, etc. Celtique ? Il y a des bombardes (mais la bombarde, c'est spécifiquement breton), un pipe, et des instruments tout à fait inattendus, ma foi : des sabots percussifs ! Biskoaz kemend-all ![On n'a jamais vu ça !] C'est celtique ? On en a longtemps porté en Bretagne, et ça se fait encore un tout petit peu, si peu. Sur de la terre battue ou sur un chemin de pierre, ça résonne, mais c'est aussi à cause des clous sous les sabots (pour qu'ils s'usent moins vite). 

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Sur scène, sur un caisson de bois (du simple contreplaqué), avec un micro bien placé pour capter et amplifier le son, ça donne un son tout à fait spécial. Ça rythme, ça cadence, ça génère de l'énergie, c'est efficace. Luc Le Squer joue des mains et des pieds, un jeu de jambes extraordinaire, une agilité à toute épreuve, avec des sabots il faut le faire… Assis ou debout sur son trône, déambulant sur la scène, il danse, il chante, se démène comme un catcheur, flatte son public avec des "ici, Lampaul-Plouarzel" assez lourdement répétitifs tout de même, des "la France" ou "la Bretagne" qui finalement ne disent pas grand-chose. J'oublie : il cite aussi Tahiti : de toute évidence, le leader du groupe a été marqué par une tournée récente en Polynésie.

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"Mask ha gazh" : quel drôle de nom !

Avec tout ça, je ne savais toujours pas d'où provient ce nom de "Mask ha gazh" que le groupe s'est choisi. J'ai fini par en avoir l'explication. L'histoire remonte à près de vingt ans, au temps où le groupe n'avait pas vocation à vivre de sa musique. Il lui fallait se trouver un nom. Lors d'un repas après répétition, quelqu'un a parlé par hasard de masque à gaz. Un autre a dit : "et si on adoptait ce nom-là ?" Drôle de nom pour un groupe. L'astuce, ça a été de l'écrire non pas à la française, comme me le décrypte Luc Le Squer, mais "en celtique". Je lui fais observer que chacune des langues celtiques a sa propre orthographe. Il rectifie donc : "en breton". OK. Examinons dès lors les trois termes de "Mask ha gazh" l'un après l'autre.

  • "Mask" : la lettre "q" n'existant pas dans l'alphabet breton, la transposition est correcte. On peut aussi écrire "maskl". 
  • "Ha" : en breton c'est la conjonction "et". Ça ne traduit donc pas vraiment la préposition "à" du "masque à gaz" français. Ça ne le fait que par onomatopée ou phonétiquement, comme vous voulez. Mais le sens n'est plus le même.
  • "Gazh" : là, ça se complique. Si je consulte le dictionnaire français breton de Martial Ménard, pour le français "gaz" il préconise en premier lieu "aezhenn" ou "aezh". Il admet le terme "gaz" (sans le "h" final) comme étant usuel en breton, mais on comprend qu'il n'a pas sa préférence. 

Si bien que pour traduire "masque à gaz", le lexicologue propose "maskl enep aezhennoù". Cette expression est-elle vraiment attestée en breton ? Pour le vérifier, je consulte "Devri", le dictionnaire diachronique du breton en ligne, du même auteur : il n'en fait mention nulle part, ce qui est curieux. Par contre, il est fait état de "masklou enep-gaz", relevé dans un numéro de la revue "Arvor" que dirigeait Roparz Hemon en 1941. Par ailleurs, le Devri recense effectivement "aezenn" en 1919 dans le sens de "gaz" et dans l'expression "aezennou mougus" au pluriel, pour "des gaz asphyxiants".

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Celtique ou balkanique, c'est toujours exotique

Mask ha gazh ne s'arrête pas à de telles subtilités, pour eux cet appelatif n'était qu'une galéjade. D'ailleurs, personne dans le groupe ne sait le breton. Pourquoi alors écrire "gazh" avec un "h", alors que personne ne l'écrit ainsi en breton ? Luc Le Squer me l'explique tout simplement : "ça rappelle le bzh [abréviation de "Breizh" en breton pour "Bretagne"] et ça donne une identité". Pour s'afficher comme un groupe de rock celtique, il ne restait plus après ça qu'à concevoir un logo et à entourer le nom du groupe d'entrelacs à l'irlandaise. "Celtique", c'est basique, c'est exotique et c'est typique. Le terme est utilisé dans une acception scientifique, mais il représente tout un imaginaire aussi, il est mythique. Et ça marche. La preuve : quand les spectateurs sont invités à entrer dans la ronde pour un final endiablé, tout le monde forme des chaînes et entre dans la danse…

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Tout a l'air simple avec Mask ha gazh. Pas la moindre chanson en breton : ce n'est pas obligatoire non plus. Pas de chansons à texte, pas de textes militants : idem. Des chansons en forme de clins d'œil, sur la Bretagne, sur la mer, sur les bistrots, sur les anciens que l'on voit toujours à la même place au bout du comptoir… Justement, qui n'a-t-on pas vu monter sur la scène des Petites Folies, samedi dernier, à Lampaul-Plouarzel ? Une figure locale, Léo, dans le rôle de l'homme aux cheveux blancs et en costume cravate, et Adrian, un jeune d'une commune voisine, l'un et l'autre avec une bière à la main, tiens… Ils avaient déjà joué comme figurants il y a trois ans dans un clip du groupe. 

Quand Mask ha gazh s'en est allé, ce fut au tour du duo de "Soviet suprem" de monter sur scène. Eux font du "punk balkanique". Les deux groupes n'abordent pas les mêmes thématiques : l'un joue plus sur la nostalgie, l'autre sur la dérision. Ce ne sont pas les mêmes sonorités musicales non plus. Mais c'est bizarre, j'ai trouvé que les deux groupes se ressemblaient beaucoup, par le style, par leur façon d'interpeller le public, par les recettes de scène et même par la musique… 

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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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