Le Conseil culturel de Bretagne conteste la politique linguistique de l'État et… celle du Conseil régional
Pour la première fois, le CCB, qui était réuni en session plénière samedi 3 octobre à Rennes, a estimé que l’un des textes qui lui était soumis pour avis par le Conseil régional "ne peut être signé en l’état" ! Et ce n’est pas n’importe quel texte, puisqu’il s’agit de la bien nommée "Convention spécifique pour la transmission des langues de Bretagne et le développement de leur usage dans la vie quotidienne 2015-2020". (Photo d'archive : le Conseil culturel, le jour de son installation en janvier 2013, en présence des élus régionaux).
Un peu d'histoire (récente) pour bien comprendre : cette convention a été élaborée dans le cadre du Pacte d'avenir pour la Bretagne signé en décembre dernier en présence de J.-M. Ayrault, alors Premier Ministre. Elle concerne la transmission des langues de Bretagne et leur usage dans la vie quotidienne, et plus spécifiquement
- la formation et le recrutement d’enseignants des langues de Bretagne,
- le développement de l’enseignement bilingue
- le soutien à l’action de l’Office public de la langue bretonne
- et le développement de l’usage de ces langues de Bretagne dans la vie quotidienne.
La critique des acteurs de terrain
Dès la réunion de la commission ad hoc du Conseil culturel, samedi matin, il est vite apparu que ce projet de convention ne satisfait pas, mais alors pas du tout, les acteurs de terrain. Ceux-ci, et le CCB lui-même, pointent d'abord une question de méthode : ils n'ont aucunement été consultés en amont sur les éléments à inclure dans la convention. Autrement dit, il n'y a pas eu de concertation. Les critiques ont fusé de tous côtés :
- Sur l'objectif des 20 000 élèves à scolariser dans l'enseignement bilingue d'ici 2020 : c'est infiniment moins, a-t-on dit, que les 50 % d'élèves qui le seront en Alsace. Le Conseil culturel attendait des objectifs chiffrés plus ambitieux.
- Sur une disposition technique qui a son importance : l’âge de 3 ans est celui qui est retenu pour définir les seuils d’ouverture de classes bilingues, ce qui est en contradiction avec une circulaire ministérielle de décembre 2012.
- Alors que l’augmentation du nombre de candidats au concours de recrutement de professeurs est perçue comme une nécessité, les aides Skoazell qu'attribue le Conseil régional devraient baisser.
- Les universitaires présents ont vivement réclamé une réforme du concours de recrutement et de la formation des maîtres pour pallier le manque de candidats.
- La politique de l’État et de la Région en faveur du gallo est perçue par les gallésants comme un manque d'intérêt manifeste pour leur langue, ce qui les conduit à regretter que la Convention ne concerne pour ainsi dire que la langue bretonne.
Bref, l'avis qu'a voté le Conseil culturel de Bretagne est plutôt sévère. Il considère globalement que la nouvelle convention n'est que
- "la reconduction de dispositifs existants. L'engagement vague ou conditionnel de l’État laisse dubitatif. Les mesures évoquées en restent au niveau des intentions et des principes, sans moyens clairs et chiffrés de la part de l’État". Il affirme en outre "qu’une politique plus volontariste doit être engagée, en particulier dans les territoires où les langues sont parlées au quotidien"
– et cette dernière précision n'est pas anodine.
Une situation quelque peu surréaliste
Et c'est sur la base de l'ensemble de ces considérations que le Conseil culturel a estimé en séance plénière que le Conseil régional de Bretagne ne pouvait signer cette convention en l'état. Je me répète : c'est la première fois que ça arrive !
Et c'est là que la situation est devenue complètement paradoxale ! Car il était prévu à l'ordre du jour que Lena Louarn, vice-Présidente aux langues de Bretagne au sein du Conseil régional, vienne s'exprimer devant le Conseil culturel, précisément au sujet de cette fameuse convention. Et ce fut quelques minutes seulement après le vote négatif qui venait d'intervenir !
J'ignore si elle en avait été informée en amont, mais le président du CCB, Jean-Bernard Vighetti, qui l'accueillait, n'y a fait aucune allusion. Mme Louarn a lors débité – sans ciller et comme si de rien n'était - le texte qu'elle avait rédigé, mettant en avant au cours de son intervention toutes les mesures qui lui paraissent à elle… positives dans la convention :
- de nouvelles initiatives de sensibilisation au breton en primaire,
- une meilleure information des élèves bilingues et de leurs familles sur la transition entre CM2 et collèges,
- le renforcement de la politique des pôles bilingues,
- la contractualisation des enseignants Diwan 18 mois après l'ouverture d'une nouvelle école (au lieu de cinq ans jusqu'à présent),
- la mise en place de nouvelles procédures de concertation, plus contraignantes, avec les services de l'État, etc.
Lena Louarn a constamment fait référence aux "avancées" que contient cette convention et aux négociations "serrées" qu'elle a dû mener avec les représentants de l'État. À noter qu'elle s'est exprimée en français, à la surprise évidente de l'interprète qui devait assurer la traduction simultanée de ses propos. L'échange qui a suivi a cependant été plurilingue : breton, gallo, français.
La vice-présidente du Conseil régional a notamment fourni des précisions, qui ne sont pas sans intérêt, sur deux questions que je lui ai posées :
- d'une part, on n'attend plus que la signature de la nouvelle présidente de France Télévisions pour lancer, au sein des bouquets ADSL dans un premier temps, une chaîne TV régionale de plein exercice, réunissant France 3 Bretagne, les chaînes locales et Brezhoweb
- d'autre part, le budget global qu'affecte la Région aux langues de Bretagne et à la culture ne diminuera pas en 2016, même si les dotations de l'État sont en baisse.
De la nervosité dans l'air
Encore quelques mots sur les tensions que révèlent ces échanges et prises de position autour de la Convention spécifique concernant les langues de Bretagne. À deux mois des élections régionales, il serait tout à fait surprenant que le Conseil régional remette tout en cause et qu'il ne valide pas un texte qu'il a lui-même négocié avec l'État et qui s'inscrit dans la suite du Pacte d'avenir. L'avis qu'a émis le Conseil culturel, après tout, n'est que consultatif, de même que celui que votera le CESER demain, lundi.
Mais Lena Louarn, étant en charge du dossier ultrasensible des langues de Bretagne à la région, risque d'être de plus en plus fortement et contradictoirement confrontée aux attentes qu'exprime le milieu associatif et aux contraintes de la cogestion de ce dossier par le Conseil régional et par l'État. Les bretonnants (ou peut-être les brittophones) sont insatisfaits par rapport aux objectifs qui sont définis, et les défenseurs du gallo sont mécontents qu'on n'en fasse pas assez pour eux. Les associations de parents d'élèves (Div Yezh, Dihun) cherchent comment se remettre en mouvement. Il se dit même que ça renâcle au sein de l'Office public de la langue bretonne. En un phrase : tous sont convaincus qu'il faudrait que ce soit beaucoup plus ambitieux !
On verra bien comment tout cela s'exprimera à Carhaix le 24 octobre, lors de la manifestation qu'organise Kevre Breizh en faveur de la ratification de la Charte.
Pour en savoir plus :
Le texte de la Convention spécifique pour la transmission des langues de Bretagne : 01_Rapport_langues
Le texte de l'avis adopté par le Conseil culturel de Bretagne : CONSEIL_CULTUREL_03_10_2015_Livret_Final