Expulser les Bretons d'Île de France : provoc ou canular ?
Un certain Fernand Bloch-Ladurie fait un tabac en ce moment sur internet, et c'est grâce aux Bretons. Alors que les messages qu'il poste sur son blog depuis septembre 2011 sur toutes sortes de sujets d'actualité recueillent poliment deux ou trois commentaires, au mieux et exceptionnellement une petite vingtaine, celui qu'il vient de publier sur les Bretons en est – à l'heure où j'écris – à 372 ! Belle performance. C'est comme sur France Inter, le 10 septembre dernier, pour "Le téléphone sonne" consacré aux langues minoritaires en Europe : Quentin Dickinson faisait état de plus de 80 messages postés sur le site de l'émission, alors qu'il y en a dix fois moins d'habitude. Ce sont des sujets bien plus sensibles qu'on ne le croit.
Qu'a donc écrit ce personnage pour susciter tant de réactions, ironiques ou passionnées ? Le mieux est de se rendre sur son blogue (parce que lui n'est pas "blog" pour deux sous). Le 27 septembre, à trois heures du matin, il prétendait carrément que "notre modèle républicain […] connaît des ratés". Et pourquoi donc ? Parce que "des populations arriérées […] font des ravages" en région parisienne. Lesquelles ? La description qu'en fait F. Bloch-Ladurie est cataclysmique :
- alcoolisme atavique,
- superstition religieuse,
- mendicité agressive,
- délinquance,
- insalubrité,
- leur odeur…
La carte postale qui accompagne le post, pas si récente, est explicite puisque c'est celle d'un Breton d'un autre siècle en "bragou braz". Le titre annonçait la couleur (si je puis dire) : "Les Bretons n'ont pas vocation à rester en Île-de-France".
Jérôme Kerviel et Vincent Bolloré sont convoqués comme figures tutélaires. Et comme les Bretons persistent à user "d'un patois désuet", F. Bloch-Ladurie n'hésite pas à poser carrément la question :
- Veut-on [à Paris] un quatorzième arrondissement entièrement "bretonnisé", dont l’usage du français serait banni ? Imagine-t-on que les écoles Diwan remplacent les écoles publiques ?
Le blogueur ne paraît pas savoir que ça a déjà commencé : il y a bel et bien une école Diwan à Paris ! Bref, "notre vivre-ensemble" est menacé. Rien de moins. Même le port de la coiffe bigoudène pose problème, c'est dire.
Les Bretons, les vrais, n'ont pas manqué de réagir au quart de tour, brandissant leur fierté et leur identité, protestant les uns de leurs convictions républicaines, les autres de leur revendication d'indépendance, s'offusquant du mépris dont on accable ceux d'entre eux qui vivent à Paris. Quelques-uns ont cru comprendre que F. Bloch-Ladurie ne parlait d'eux que pour mieux attirer l'attention sur la précarité des Roms : est-ce absolument sûr ? Il y a pourtant un indice qui ne trompe pas dans les tags. D'autres encore prennent le parti de l'humour. Mais tous sont intrigués, voire décontenancés : comme l'écrit Arthur dans un commentaire :
- C’est quoi ce ramassis de conneries? C’est tellement affligeant que je sais pas si je dois pleurer, rire ou m’énerver.
En tout cas, l'article qu'a publié l'historien Didier Guyvarc'h en 1996 dans la revue "Génèses" sur un manifeste de 1851 contre l'immigration bretonne à Nantes, accessible sur internet, n'aura sans doute jamais été aussi consulté, grâce au lien fourni.