La dernière journée du Congrès de la Société de mythologie française au centre Ti Menez Are de Brasparts
Lors de cette dernière matinée de communications, il fut question de légendes en Nouvelle-Aquitaine nées de très anciennes croyances issues de mythologies antiques, de la Breuriez de Plougastel-Daoulas, de l’enfer froid et d’autres sujets encore.
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La salle demande à échanger avec l'intervenante, Anne Hambücken. Photo DR.
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Le pic-vert et l'herbe d'oubli : gardien et portail du passage vers l'Autre-Monde
En centre Bretagne, le nom vernaculaire du pic-vert, digorez kledoù « ouvreuse de barrières » pique la curiosité de l’ethno-ornithologue à l’affût de correspondances lexico-sémantiques dans les savoirs écologiques traditionnels : le pic-vert est réputé lié à une plante magique qui a la propriété de faire perdre le sens de l’orientation à quiconque marche dessus par inadvertance, la nuit. Le zoonyme du pic met d’autant plus l’animal en relation avec la situation d’enfermement de la victime que l’herbe magique a le pouvoir d’ouvrir des serrures et des portes.
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Photo : Jules Fouarge. DR
La mésaventure emprunte des motifs récurrents, avec des variations à travers l’Europe du Nord… Ici et là, la littérature folklorique mentionne le fait que la plante est habitée par un esprit malin, à l’origine du fourvoiement, figure que rappellent la ronde nocturne infinie, les liens archétypaux avec l’eau et les chevaux.
Dans le jeu de miroir qui met sur le même plan le pic et l’herbe magique, on présentera les traits qui trahissent la trame du mythe de passage vers des arrière-mondes. On se posera notamment la question de savoir si on peut qualifier de fonction psychopompe cette alliance symbolique de l’animal et de la plante magique.
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Anne Hambücken. Photo : DR.
Les portes de pierre vers d'autres mondes
Dans le foisonnant légendaire des pierres, certaines d'entre elles constituent des bondes empêchant d'énormes nappes d'eaux souterraines d'inonder la contrée. D'autres, les « pierres animées », ferment l'entrée vers des mondes souterrains et des trésors. Elles n'en permettent l'accès que lorsqu'elles prennent vie et que, pour quelques instants, pendant les douze coups de minuit, elles quittent leur base. D'autres pierres encore s'ouvrent à date fixe pour mener à des souterrains et à des trésors. Enfin, des mégalithes et des rochers conduisent vers l'enfer ou de mystérieux châteaux de fées.
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L'analyse de ces légendes en Nouvelle-Aquitaine révèle qu'elles sont nées de très anciennes croyances issues de mythologies antiques. Malgré leur diversité, elles nous amènent inévitablement au monde des morts, un monde oublié, supplanté par la vision chrétienne de l'au-delà. Ces croyances ont toutefois laissé des traces dans le folklore. Par l'analyse de ces légendes recueillies dans les départements de la Nouvelle-Aquitaine, nous essayerons de mieux comprendre l'origine de ces croyances, ce que sont ces mondes et ce que la tradition populaire nous en dit.
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Claude Maumené. Captation d'écran. DR
L'Arbre, le temps et les morts : une tradition bretonne à la lumière d'une céramique néolithique
La Breuriez de Plougastel-Daoulas, tradition bretonne célébrée à la Toussaint, illustre la persistance de représentations anciennes du cycle de la vie et du temps. Ce rituel consiste à mettre aux enchères un arbre orné de pommes, symbole des âmes des défunts. Celui qui l’acquiert bénéficierait de leur protection et de leur fertilité pour l’année. L’argent recueilli sert à faire dire des messes pour les morts. Cet arbre, transmis de génération en génération, incarne une mémoire collective et marque un seuil symbolique dans le calendrier.
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Arbre à pommes : Musée de la Fraise, Plougastel-Daoulas, collection ethnographique. Arbre votif utilisé lors du Breuriez. Auteur inconnu, reproduction avec l’autorisation du musée.
Ce rituel s’inscrit dans une tradition plus large où l’arbre, au cœur des célébrations saisonnières (arbre de Noël, arbre de mai), structure le temps en reflétant le passage des saisons. Dans ces moments charnières, notamment à la Toussaint (ou Samain) et au mois de mai (ou Beltaine), les frontières entre les mondes des vivants et des morts s’estompent, et l’arbre devient axe cosmique, reliant terre, ciel et monde souterrain.
Le texte pose alors une question centrale : peut-on déceler une continuité symbolique et cosmologique entre cette tradition populaire et un objet néolithique, la céramique funéraire de Lannec er Gadouer ? Pour y répondre, une approche ethnographique s’intéressera à l’arbre dans les rituels européens, tandis qu’une analyse archéo-astronomique étudiera la céramique, ses motifs et ses usages possibles. L’objectif est de montrer que, de la préhistoire à nos jours, l’arbre demeure un médiateur fondamental entre le monde des hommes et celui des morts, structurant le temps et le sacré.
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Gaël Hily. Photo : DR
Gaël Hily
L’enfer froid breton : voyage au pays des supplices
Au XVIe et XVIIe siècles, la Bretagne connait un essor culturel de grande ampleur, avec une présence très marquée du thème de la mort. Il se manifeste à travers l’architecture religieuse et la littérature écrite en moyen-breton. Le Mirouer de la mort « Miroir de la mort », composé en 1519 puis imprimé en 1575, est un long poème reprenant la doctrine chrétienne des quatre fins du monde : la mort, le jugement de l’âme, l’enfer et le paradis. Le début du sous-titre nous intéresse particulièrement car il évoque successivement trois de ces fins : en maru, en barn, en iffern yen « À la mort, au jugement, à l’enfer froid ».
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Cette sentence a dû être assez célèbre, puisqu’elle est gravée quelques décennies plus tard, en 1619, sur l’ossuaire de La Martyre (photo ci-dessus, DR). La présente communication sera un voyage dans cet « autre monde », ce monde des âmes défuntes, qu’est l’enfer froid. Pour mieux cerner ce concept, nous nous interrogerons sur l’origine de la notion « d’enfer froid », sur les âmes qui subissent ce châtiment, sur le sens du terme « froid » dans la représentation de la mort en Bretagne.
- Pour information : Une réédition du Mirouër de la mort, accompagnée d’une nouvelle traduction en français, a été publiée par Yves Le Berre.
- Référence de l’ouvrage : Le Mirouer de la Mort. Texte établi, traduit et présenté par Yves Le Berre. Brest, Éditions du CRBC, 2023, 364 p., ill. Collection Tal ha tal, bilingue breton-français.
- À lire sur ce blog : une présentation de l’ouvrage
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Julien d'Huy. Photo DR
La Voie lactée ou le chemin des morts
Dans presque toutes les cultures, la mort est décrite comme un départ, un voyage vers un ailleurs. Cette vision ancienne, visible dans des expressions comme « il nous a quittés » ou « il est parti », dépasse la simple explication cognitive avancée par Pascal Boyer, qui y voit un « bug » de notre cerveau. En réalité, la richesse symbolique des mythes liés à la mort suggère une origine plus profonde.
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L'Origine de la Voie lactée Le Tintoret, peint vers 1575-1580. National Gallery de Londres.
Cette présentation se propose d’explorer l’hypothèse selon laquelle la conception de la mort comme voyage serait née en Afrique, chez les premiers Homo sapiens, et aurait été transmise jusqu’à nos jours, principalement par oral. Nous aborderons ainsi les conditions ayant permis son émergence : d’abord, la capacité cognitive à concevoir un monde invisible, attestée par des sépultures rituelles très anciennes ; ensuite, l’ancrage dans des récits mythologiques, comme ceux associant la Voie lactée à un chemin emprunté par les morts ; enfin, la persistance linguistique du lien entre « voyager » et « mourir ».
À suivre et en manière de conclusion de cette restitution : les sorties qu’ont effectuées les congressistes de la Société mythologique française en divers lieux emblématiques du Centre Bretagne.