Retour sur la manif Diwan du 17 mai à Rennes
Ça n’a pas été la manifestation la plus importante qu’ait organisée Diwan au cours de son près d’un demi-siècle d’existence. Les estimations varient de 1 000 (dans le journal de France 3 Bretagne dès le samedi soir) à 2 000 personnes (sur le site ABP de l’Agence Bretagne Presse), les quotidiens régionaux s’accordant à faire état de 1 500 participants, ce que je trouve crédible. Diwan avait d’abord lancé son appel à manifester. Quarante associations et organisations concernées par les questions de langue et de culture bretonnes se sont associées à cette initiative.
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Les jeunes en tête de la manitestation de Rennes. Cl. : Fañch Broudic
Un rassemblement avait été programmé ce 17 mai, dans l’après-midi, sur l’esplanade Charles de Gaulle en plein centre-ville de Rennes, puis un défilé le long des quais.
En tête de cortège, une banderole sur fond vert et blanc (déjà vue dans d’autres manifestations depuis 2021 au moins) portée par de jeunes manifestants : « Unanet evit ar brezhoneg / Unie.e.s pour la langue bretonne ». Dans la manif, de petits et d’immenses gwenn-ha-du, de multiples fanions Diwan mauves, quelques drapeaux et des slogans « Brezhoneg ofisiel » pour réclamer l’officialisation du breton, mais aussi, vers la fin du cortège, des slogans plus politiques et l’irruption non prévue de militants propalestiniens.
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Anne-Sophie Brats interviewée pour le journal du soir de France 3 Bretagne. Captation d'écran.
La nouvelle présidente de Diwan face aux difficultés financières du réseau
C’était un peu le baptême du feu pour Anne-Sophie Brats, la nouvelle présidente de Diwan, élue à ce poste depuis une semaine à peine, son prédécesseur, Yann Uguen, n’ayant pas souhaité se représenter. Elle connaît bien le réseau, puisqu’elle était jusque-là vice-présidente en charge du premier degré. Éducatrice spécialisée, elle avait souhaité apprendre le breton, elle se décide à suivre une formation longue de six mois et devient la coordinatrice des radios associatives en langue bretonne, Radio Breizh. En avril 2024, elle a donné une longue interview sur son parcours à l’hebdomadaire Ya ! dans laquelle on apprend aussi qu’elle est fan du Japon.
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Anne Sophie Brats, interview en breton dans Ya! n° 982, avril 2024. DR.
À l’occasion de la manifestation de Rennes, Anne-Sophie Brats a eu l’occasion de s’exprimer à de multiples reprises : en conférence de presse, à la tribune lors du rassemblement (lire son discours en VF et en VB mis en ligne dès la veille sur le site de Diwan et toujours accessible) et dans les médias. Elle expose les difficultés que rencontre ces derniers mois le réseau des écoles d’enseignement du breton par immersion. Avec le concours des collectivités territoriales et de donateurs, il a été possible de combler un déficit chronique de 500 000 € pour terminer l’année scolaire en cours.
Des communes qui ne règlent pas le forfait scolaire
Mais les difficultés financières persistent en raison de la hausse exponentielle des charges. La présidente de Diwan et Yves-Marie Derbrée-Salaün, membre du CA, incriminent aussi le refus de plusieurs communes de régler le forfait scolaire qu’elles devraient pour la scolarisation d’enfants de leur ressort dans une école Diwan située dans une commune voisine, ce qui représente un manque à gagner de 250 000 € pour le réseau.
Pour rappel, Diwan, ce sont des écoles associatives en langue bretonne gratuites et laïques. Implantées dans les cinq départements bretons, elles constituent un réseau de 46 écoles, 6 collèges et 2 lycées, scolarisant actuellement près de 4 000 élèves.
Un statut public spécifique pour Diwan ?
Le réseau estime assurer un service public pour la langue bretonne et demande donc qu’il puisse bénéficier d’un statut public spécifique en vue de pérenniser l’enseignement par immersion. Ce que demande aussi le député du Morbihan, Paul Molac, auteur déjà de la loi sur les langues régionales qui porte son nom. Or, reconnaît-il, ce statut n’existe pas aujourd’hui dans la loi française. Selon le député, il va falloir mener un combat de long terme pour le créer, à la manière, ajoute-t-il, de celui qu’avait déjà tenté Andrew Lincoln quand il était le président de Diwan entre 1988 et 2002.
En soi, ce n’est pas forcément un problème insurmontable, puisque le Parlement adopte régulièrement de nouvelles lois définissant un nouveau statut dans tel ou tel domaine. Mais, dès qu’il est question des langues de France autres que le français, ça peut se crisper. Dans un contexte politique incertain, est-il possible d’y parvenir avant la fin de la législature, avec l’éventualité qu’elle s’achève plus tôt que prévu ? Sujet hypersensible !
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La présidente de Diwan parmi les jeunes dans la manifestation de Rennes. Cl. FB
Ar brezoneg a vevo ha peb euro a gonto
Le réseau Diwan s’est-il inspiré du slogan des sardinières de Douarnenez qui réclamaient « pemp real a vo » (nous voulons cinq sous) en 1924 ? Son nouveau slogan :
- Ar brezoneg a vevo ha peb euro a gonto
- Le breton vivra, chaque euro comptera.
La présidente a annoncé que Diwan compte demander aux métropoles de verser 1 € par an et par habitant pour sécuriser le fonctionnement des écoles en langue bretonne par immersion : c’est ce que j’avais cru comprendre dans un premier temps. Mais à Rennes, elle annonce un projet encore plus ambitieux : la démarche s’adressera aux candidats des prochaines élections municipales de Brest à Clisson pour qu’ils inscrivent dans leur programme le versement d’un 1 euro par an et par habitant au niveau des intercommunalités pour les pratiques de transmission et d’usage de la langue bretonne dans les crèches, les centres de loisirs, dans les arts, les pratiques sportives et culturelles, la promotion de l’enseignement en breton, les centres de formation, les médias !
Matilde Lahogue, la directrice de Diwan, me précise que 40 organisations ont signé cet appel, charge aux élus et techniciens des collectivités territoriales de mettre en œuvre cette mesure. Je lui fais observer que cela va supposer un gros travail de persuasion : « on appelle cela de la pédagogie », me répond-elle. Il faudra bien quand même définir selon quelles modalités se ferait ce versement d’un euro par an et par habitant et quelles structures les collecteraient et les répartiraient.
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Le porte-drapeau de la Kerlenn Pondi et le Trégorrois Pierre Lavanant en discussion en fin de manifestation. Cl. FB.
Une démarche inédite à l’égard des collectivités territoriales
Peut-on tenter une estimation ? La Région Bretagne, ce sont 4 830 000 habitants. Ajoutons la Loire-Atlantique, on en est à 6 300 000. Si tout le monde joue le jeu et selon la configuration, cela représenterait chaque année près de 5 M€ dans un cas et plus de 6 M€ dans l’autre.
Cela correspond à 40 ou 46 % du budget de 13 M€ que consacre annuellement la Région Bretagne à la langue bretonne. Cela serait effectivement un plus considérable pour contribuer au fonctionnement de multiples activités en langue bretonne et par-delà conforter la politique linguistique de la Bretagne. Mais toutes les collectivités territoriales seront-elles disposées à s’engager dans une démarche inédite et auront-elles les moyens de le faire ?
Lire sur ce même sujet, le point de vue de J.-L. Le Floc’h en breton sur le site de l’ABP : « Roazhon : Pep Euro a gonto ! Ar brezhoneg a vevo ! »