Affluence et réflexions lors des obsèques de Job an Irien en l’église Saint-Houardon de Landerneau
- Mise à jour : 18/02/2025
- Remerciements à Mme Kristell L.
Elles ont eu lieu il y a très exactement une semaine. Sa famille l’avait pressenti : elle avait considéré que l’église de Tréflévenez à quelques dizaines de mètres du centre spirituel Minihi Levenez [Le prieuré de la joie] serait bien trop petite pour accueillir tous ceux qui voudraient y assister. De fait, ce sont plusieurs centaines de personnes, venues parfois de loin, qui ont afflué à Saint-Houardon dans l’après-midi du 5 février.
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En l’absence de Mgr Laurent Dognin, évêque de Quimper et Léon, le père Sébastien Guiziou, vicaire général, a lu le message dans lequel il présentait Job an Irien comme ayant été « une belle figure dans le diocèse, qui a partagé son érudition et sa foi bretonnante par ses publications, ses ouvrages, ses études, [estimant que] cela a pu rejoindre aussi les Bretons qui ne sont pas chrétiens ».
Un autre évêque, Mgr Gérard Le Stang, regrettant de ne pouvoir dire la messe en breton à Amiens, soulignait pour sa part que le prieuré du Minihi a été grâce à Job une vaste créativité et de rayonnement formidable. Il était « un homme bon et paisible, passionné, c’est sûr, on n’était pas toujours d’accord avec lui, mais son esprit d’initiative suscite l’admiration ».
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Une cérémonie largement bilingue
La cérémonie des obsèques a été présidée par le chancelier de l’évêché, le père Hervé Quéinnec et par le père Corentin Sanson, directeur et professeur au Séminaire Saint-Yves de Rennes, qui se sont exprimés tour à tour en breton et en français. Les membres du clergé s’étaient déplacés en nombre pour honorer leur confrère : ils étaient une dizaine dans le chœur autour de l’autel et une vingtaine dans la croisée nord.
Il importait de toute évidence à l’évêché que la langue bretonne ait été largement mise en avant lors de ces obsèques. Les textes religieux étaient lus dans les deux langues tout comme les prières. Les cantiques, accompagnés à l’orgue, ont été chantés le plus souvent en breton. Mais ce fut surtout pas une messe FLB : ne vous méprenez pas sur le sens de cet acronyme bien connu, il s'agit ici d'une messe français-latin-breton, telle que la préfèrent divers groupes catholiques conservateurs, pour ne pas dire plus. On n’y a pas chanté non plus le traditionnel « Da feiz on tadou-koz » [À la foi de nos ancêtres]. C’est « Patronez dous ar Folgoad » [Douce patronne du Folgoat] qu’a repris toute l’assistance à l’unisson. Ce cantique avait du sens pour le fondateur du Minihi.
Une grande confiance en ce qui est en train d’advenir
Ses proches ont dit de lui qu’il a été un personnage inspirant et cultivé, un véritable couteau suisse aux multiples activités en lien avec ses racines bretonnes : l’histoire, la culture, la langue, la musique et le patrimoine. On associe couramment sa foi et son amour de la Bretagne.
La présidente de l’association Minihi Levenez depuis 2023 a mis en évidence les pratiques du centre spirituel où on combinait travail manuel et intellectuel. À RCF, la radio catholique du Finistère, le père Irien enregistrait et diffusait de précieux témoignages d’anciens dans une langue bretonne bien vivante, mais aussi en français. Il a facilité la relation des bretonnants anciens et des nouveaux, accordant une grande confiance en ce qui était en train d’advenir, soutenant sans relâche les progrès des uns et des autres.
Pour ses recherches en hagiographie, il a côtoyé des érudits de Bretagne et des autres pays celtiques, organisé des colloques et partagé ses connaissances par l’édition d’ouvrages, la publication d’articles dans des revues et de chroniques dans des journaux. Ce n’était ni le lieu ni le moment pour en établir un bilan. Mais il serait judicieux de faire l’inventaire de sa bibliographie. Dans le catalogue de la bibliothèque Y. Le Gallo du CRBC, à Brest, on peut consulter une cinquantaine de références à son nom, souvent en association avec des chercheurs comme Bernard Tanguy. Sur le site Bretagne Histoire, il est d’ores et déjà possible de télécharger une bibliographie centrée sur ses activités de recherche.
Job a-t-il donné sa vie pour Dieu et pour la Bretagne ? Il n’aurait pas trop aimé ce genre de formule
Dans son homélie, le père Corentin Sanson, alternant lui aussi le breton et le français, a tenu à se démarquer de certaines formulations qui ne lui paraissent pas adéquates :
- « Je lis ces jours-ci que Job a donné sa vie pour Dieu et pour la Bretagne. Je crois que Job n’aurait pas trop aimé ce genre de formule. Parce que Job a donné sa vie, pas pour des idées, pour une cause, un idéal, mais pour des personnes. Il a donné sa vie pour Dieu et pour les gens. Tel que je l’ai connu, moi, je peux dire que je n’ai jamais vu Job porter un drapeau, je l’ai vu porter la parole de Dieu, porter les sacrements, soutenir des tas de gens, porter la foi.
- Ar pez a gonte eo Jezuz hag an dud. Ar mennoziou n’o-deus ket ezomm da veza karet, an dud o-deus ezomm da veza karet ha da houzoud int karet gand Doue hag an dra-ze eo zo bet stourm Job. Eur stourm speredel, eur stourm denel, eur stourm doueel.
- Que les bretonnants puissent vivre leur foi dans leur langue. Job a vécu l’interdiction du breton à l’école comme une sorte d’asphyxie. Il voulait tout simplement que les bretonnants puissent respirer et vivre, surtout qu’ils puissent entendre Dieu leur parler au cœur, lui répondre avec leur cœur. Donc en breton. »
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L’itinéraire de Job en Irien
Les témoignages, notamment de membres de sa famille et de la présidente de l’association Minihi Levenez, permettent de reconstituer le parcours de Joseph Irien.
- 15 octobre 1937 : naissance dans la ferme de Koad Brun à Bodilis, dans une fratrie de cinq enfants. Tout le monde parle breton.
- 1944 : arrive à l’école à 7 ans. Le breton est interdit. Un de ses frères a même été attaché à un arbre pour l’avoir parlé. Il rejoint le collège Saint-Joseph de Landivisiau, puis rentre en 6e comme pensionnaire au Kreiz-kêr à Saint-Pol-de-Léon. Il prend part aux fêtes du Bleun-Brug et acquiert la capacité d’écrire en breton.
- 1956 : les scouts Bleimor, dont faisait partie un certain Alan Cochevelou, futur Alan Stivell, séjournent quelques jours chez les Irien, à la ferme de Bodilis où ils construisent une « lochenn » [cabane], dont se souvient bien Jean-Claude, un de ses voisins.
- Joseph s’oriente vers la prêtrise et fait ses études au grand séminaire de Quimper.
- 1960 : il effectue son service militaire dans la Marine à bord de l’escorteur d’escadre La Bourdonnais. Il est très marqué par le tremblement de terre d’Agadir et par les secours portés aux survivants.
- 1962 : il est ordonné prêtre et exerce à Pont-Croix.
- 1966 : aumônier de l’enseignement public au lycée de l’Harteloire à Brest
- 1981 : aumônier du Bleun-Brug
- 1982 : année sabbatique à l’abbaye de Landévennec. C’est aussi l’année où il compose la cantate Ar Marh dall [Le cheval aveugle].
- 1984 : il se lance dans la création du centre spirituel bretonnant de Minihi Levenez, avec l’approbation de Mgr Barbu.
- Il assure la catéchèse en breton aux collèges Diwan du Relecq-Kerhuon et de Guissény, ainsi qu’au lycée Diwan de Carhaix.
- 1991 : construction de la chapelle du Minihi Levenez.
- 1997 : il publie « Leor an overenn hag ar zakakramanchou » [Le missel] à Minihi Levenez.
- 2002 : il publie « An Testamant Nevez » [Le Nouveau Testament].
- Il organise des pèlerinages en Terre sainte, en Irlande, au Pays de Galles et en Cornouailles. Il prend part à à l’organisation du Tro Breiz [Tour de Bretagne] et du Tro Sant-Paol [Le tour de Saint-Pol], intergénérationnel.
- 2007 : il reçoit le collier de l’Hermine.
- 2023 : Job doit se retirer de Minhi Levenez.
- 2 février 2025 : décès.
Minihi Levenez va perdurer
Selon la présidente de l’association, Job a toujours voulu que le Minihi lui survive. Aujourd’hui, un jeune couple a relevé le défi et élabore un projet pour l’avenir, avec l’appui d’anciens et au service des futures générations. Minihi est l’œuvre de Job, notre hommage à Job c’est de la poursuivre, a-t-elle déclaré.