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Le blog "langue-bretonne.org"
24 janvier 2025

Nouveau sondage langue bretonne : le chiffre qui a surpris (presque) tout le monde

Ce résultat c’est celui du taux et du nombre de bretonnants qu’il subsiste en moyenne sur l’ensemble des cinq départements de la Bretagne historique. Selon le sondage 2024 de l’institut TMO pour le compte de la Région Bretagne, seuls 2,7 % parlent désormais le breton (dont 0,8 % très bien et 1,9 % assez bien), soit un nombre de locuteurs estimé en moyenne à 107 000 personnes.

Ces chiffres sont effectivement stupéfiants, d’autant que le pourcentage a diminué de trois points en six ans en passant de 5,7 % en 2018 à 2,7 % en 2024. Ces pourcentages ne disent sans doute pas grand-chose en eux-mêmes à la plupart d’entre nous. En revanche, la baisse du nombre de locuteurs de 214 000 en 2018 à 107 000 durant la même période est perçue par tout monde comme étant impressionnante, et elle l’est, telle qu’ainsi présentée.

Il était évident que le nombre de locuteurs allait baisser, inexorablement

Une première remarque s’impose toutefois concernant ces chiffres : ils sont présentés comme si l’on parlait le breton (ou le gallo) dans toute la Bretagne. Ce n’est pas faux, si ce n’est que les deux langues sont territorialisées et c’est une donnée incontournable : outre le français, on parle le breton surtout dans la partie occidentale de la région connue comme étant la Basse-Bretagne et le gallo dans la partie orientale, désignée comme la Haute-Bretagne.

Mais en ignorant ces données historiques, on finit par fausser la perception que peut en avoir le public. C’est ainsi que les médias ont tous parlé cette semaine de « dégringolade, » d’« effrondement » ou de « chute libre ». Le nombre de locuteurs de chacune des deux langues a chuté surtout sur son territoire propre (voir mon message du 22 janvier), mais qui l’aura su ?

Fulup Jakez, à droite, lors de la présentation des résultats du sondage à l'Hôtel de région à Rennes le 20 janvier 2024. Photo : FB.

Concernant le nombre de bretonnants, Fulup Jakez, le directeur de l’Office public de la langue bretonne, tempère dans le magazine Bretons : « ces données, déclare-t-il, ne sont pas des surprises. Il s’agit d’évolutions démographiques connues. » Il a raison. Selon Bretons, sous la plume de la journaliste Maïwenn Raynaudon-Kerzerho, « personne ne s’attendait à ce que le nombre de locuteurs de breton augmente […] En 2018, il était établi que 80 % des brittophones étaient âgés de plus de 60 ans. Il était donc évident que leur nombre allait baisser, inexorablement. » L’analyse est juste.

De l’intérêt de réaliser des sondages pour mieux connaître les usages de langues

Le directeur de l’OPLB fait cependant observer que « perdre 100 000 locuteurs en six ans […] cela ne semble pas très cohérent. » Je partage ce constat. Si ce n’est que lui s’interroge sur ces données obtenues par sondage et en vient à « pointer le manque d’outils totalement fiables pour établir des statistiques incontestables. » Le propos revient à mettre en cause la fiabilité de l’enquête menée par l’institut TMO pour le compte de la Région Bretagne. Il faut donc prendre en compte la manière dont TMO a mis en œuvre les enquêtes de 2024 et 2018.

  • Du 7 juin au 3 juillet 2018, il avait été réalisé 8 162 enquêtes téléphoniques effectives auprès des habitants des 5 départements bretons âgés de 15 ans et plus.
  • En 2024, l’enquête a été également effectuée par téléphone entre le 30 août et le 8 novembre auprès d’un échantillon légèrement plus élevé de 8 336 personnes ayant le même profil. Ce sont des panels importants.

Pour assurer la représentativité des échantillons, les résultats d’enquête ont été redressés dans les deux cas selon les 4 variables de quotas – genre, âge, CSP et type de territoire - et le niveau de diplôme, calculés pour les 26 pays bretons et le poids démographique de ces pays.

L’intérêt d’un sondage est qu’on peut poser jusqu’à une quarantaine de questions diversifiées sur le sujet de l’enquête. Dans le cadre de l’enquête « familles » du recensement 2025 en cours, il n’y en a que deux questions concernant la langue qu’on a parlé et que l'on parle.

Dans le cas du sondage TMO 2024, on n’est pas en présence d’un sondage d’opinion ou d’une enquête sur des produits ou des marques, voire sur des comportements, comme on en découvre tous les jours dans nos journaux. On est ici en présence d’un sondage sur les usages de langues, c’est-à-dire sur un phénomène de société dont il convient de mesurer l’évolution sur un temps long plutôt que sur un temps court.

De l’intérêt d’observer la diminution sur le temps long

Comme je l’ai indiqué dans mon message précédent (le 22 janvier), le sondage 2024 est le cinquième réalisé depuis 1990 par l’institut TMO sur la pratique sociale du breton. Intéressons-nous donc aux trois enquêtes réalisées sur ce sujet en 2007, 2018 et 2024 dans les cinq départements bretons.

Je propose ici un tableau analogue à celui que j’ai présenté concernant la Basse-Bretagne dans mon message précédent, concernant cette fois la Bretagne à 5 départements :

 

Année

Taux de locuteurs

Nombre de locuteurs estimé

Évolution du nbre de locuteurs

2007

5,5 %

207 000

 

2018

5,5 %

214 000

         +2 %

2024

2,7 %

107 000

-50 %

Ce qui avait (déjà) surpris lors du sondage de 2018, c’est la stabilité apparente du taux de locuteurs et une très légère hausse de leur nombre par rapport à l’enquête précédente en 2007.

Ce qui a surpris avec le sondage 2024, c’est la très forte diminution tant du taux que du nombre de bretonnants.

  • De fait, si on l’analyse sur les six ans qui séparent 2024 de 2018, la diminution paraît énorme, puisqu’elle aurait été de près de 18 000 locuteurs par an.
  • Le résultat 2018 équivalant quasiment à celui de 2007, on peut parfaitement observer la diminution sur la période de 17 ans qui sépare 2024 de 2007 : la baisse sur cette période plus longue est en réalité d’environ 6 000 locuteurs par an, ce qui est plausible.

Vous me direz que cela ne change rien au résultat de 2024, et c’est vrai. Mais la sidération n’aurait pas été la même et la compréhension du phénomène plus aisée.

Manifestation pour la langue bretonne à Quimper le 31 mars 2012. Photo : FB

Kenavo, ma bro Breiz-Izel ?

Un autre propos de Fulup Jakez m’a surpris. « Ce que nous actons, déclare-t-il aussi dans Bretons, c’est la fin de la Basse-Bretagne, c’est-à-dire d’une société où la majorité des gens parlaient naturellement breton avec tout le monde. » Ce temps est révolu depuis longtemps.

Car c’est au début du XXe siècle, au plus tard aux alentours de la Première Guerre mondiale, que le breton a cessé d’être la seule langue connue de la majorité de la population en Basse-Bretagne : c’est alors que les monolingues bretonnants ont commencé à devenir la minorité. La pratique du breton est toujours majoritaire, mais la connaissance du français est désormais le fait de la majorité. Ensuite, c’est dans les années 1960 que le breton a cessé d’être connu de la majorité de la population de la Basse-Bretagne : son usage est désormais devenu minoritaire dans la zone même où on le parle, la langue nationale devenant le moyen de communication privilégié et même exclusif de la plus grande part de la population.

Est-ce une raison suffisante pour rayer la Basse-Bretagne de la carte d’un trait de plume ?

À suivre : Qui sont les locuteurs du breton ? Comment l'ont-ils appris ?

 

Commentaires
B
Bonjour,<br /> <br /> Je trouve votre analyse pertinente. <br /> Ces sondages sont toujours intéressants, mais je m'interroge souvent sur ce qu'ils représentent vraiment. Certes, dans le pire des cas, ils donnent un ordre d'idée. <br /> Je vais juste prendre un exemple personnel : j'ai eu récemment une personne au téléphone qui se réclamait d'un grand institut de sondage, bien connu. J'ai écouté les premières questions, tout en me demandant qui était vraiment derrière le téléphone (le sondage n'était pas sur le breton). C'était probablement le vrai institut de sondage mais, en l'absence de certitudes, j'ai demandé à arrêter le sondage. De là, les personnes sondées osent-elles répondre réellement ? D'autant que le numéro d'appel est similaire à l'indicatif (ce n'est pas le terme exact) des appels de démarchage téléphonique intempestif. Je vois mal les plus anciens, constituant par ailleurs toujours le plus gros contingent des brittophones, accepter de répondre, voire de transmettre leur réalité linguistique. <br /> A titre de comparaison, en 2016, l'enquête sociolinguistique basque avait été très précise, de terrain, mais les moyens déployés avaient été si coûteux et longs que les Basques font aussi désormais appel à des instituts.
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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