Le colloque du CRBC sur les victimes de 1944. Deuxième journée
Cette page sur la deuxième journée du colloque ayant apparemment été supprimée par mégarde, elle est à nouveau mise en ligne ce 5 janvier 2025. Que les organisateurs du colloque, les intervenants de cette deuxième journée et tous ceux qui ont tenté de la retrouver sans succès pendant quelque temps, veuillent bien m'excuser pour cette méprise.
Présentation
À l’occasion du 80e anniversaire de la libération de la France, le Centre de recherche bretonne et celtique a souhaité organiser un colloque centré sur l’année 1944 en Bretagne et spécifiquement sur les nombreuses victimes (résistants et maquisards, population civile) alors qu’au cours des derniers mois de l’Occupation l’armée allemande s’engage dans un processus de répression de plus en plus féroce avec l’appui des services policiers nazis et de leurs supplétifs étrangers, français ou bretons (voir message du 12/11/2024).
Le colloque du CRBC s’est déroulé les 24 et 25 octobre 2024, à la Faculté Victor Segalen, à Brest. Il était organisé avec le soutien de l’Association Maitron Bretagne, de l’Association des Amis du Maitron et de l’Association « Pour un Maitron des fusillés et exécutés (PMFE) ».
Dix-neuf communications ont été présentées au cours de ces deux journées. Ci-après, la présentation des intervenants de la deuxième journée, avec leur biobibliographie et le résumé de leur communication.
Retrouvez la restitution de la première journée ci-dessus, en un clic à la date du 12 novembre 2024.
Gilles Grall. Saint-Pol-de-Léon, été 1944 : un sentiment de culpabilité permanente
Petit-fils d’un martyr de la Résistance, titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine soutenue à l’UBO, en 1994, sur « La tragédie de l’été 44 à Saint-Pol-de-Léon », il est président de l’association Brest-Pontaniou qui œuvre à la préservation de la célèbre ancienne prison brestoise.
Fin juin 1944, l’arrestation et la disparition troubles du réseau de résistance « Centurie » -O.C.M. (Organisation civile et militaire) de Saint-Pol-de-Léon, puis la libération ratée de la commune, le 4 aoút 1944, plongent les habitants dans un sentiment de culpabilité. Qui a dénoncé le réseau « Centurie » ? Pour quelles raisons a-t-il disparu ? Pourquoi la population s’est-elle laissé aller à une euphorie anticipée et tellement imprudente envers les derniers occupants allemands alors que les libérateurs américains étaient encore bien loin ?
Après l’été 1944, une chape de plomb semble s’abattre sur Ia ville. Cependant, un seul jour par an, le premier dimanche d’août, la population se regroupe près de la cathédrale pour une célébration sobre où est mis en avant le sacrifice d’Alain Budes de Guébriant, maire, visage héroïque de cette tragédie. Chaque famille de la ville est représentée et la cérémonie, très simple et cathartique, n’est jamais suivie d’un verre de l’amitié. Dans cette société très catholique du Léon, chacun semble porter une part du fardeau des martyrs de la guerre, en silence, puisque toute parole semble vaine. Aucun sentiment d’héroïsme, même au sein des familles des résistants, mais au contraire, une forme de culpabilité, presque de honte.
Pierrig Landrein. « Nul n’est propriétaire de la mémoire des disparus ». La fabrique mémorielle du maquis de Rohantic (1945-…)
Diplômé d’un master en histoire à l’université Paris-Nanterre, il a soutenu un mémoire de recherche sous la direction de Raphaëlle Branche, qui porte sur l’histoire et les mémoires du maquis de Rohantic, réprimé les 15 et 16 juin 1944 à Elliant, dans le sud du Finistère. En 2023, il a publié Faux maquis ou vrai maquis, histoire… Histoire et mémoires du maquis de Rohantic de 1944 à nos jours et « Fusillés sans jugement ». La répression extrajudiciaire du maquis de Rohantic, un épisode précurseur dans le Finistère (15 et î6 juin 1944]) dans la revue Guerres mondiales et conflits contemporains.
Les 15 et 16 juin 1944, les troupes d’occupation abattent sept maquisards, menacent des civils puis incendient leurs habitations. Un mois plus tard, un collaborateur notoire est exécuté par la résistance locale pour son rôle dans cette répression. En faisant des victimes dans la population elliantaise, l’année 1944 laisse également des traces dans la mémoire de cette dernière. Ce sont ces traces – et l’élaboration des mémoires plurielles - dont il est question dans cette intervention.
Tout en revenant sur les événements des 15 et 16 juin 1944 et les mécanismes de la répression allemande, constitutifs de cette mémoire, il s’agit, dans un premier temps, de proposer une approche sociologique et typologique des victimes (résistants, civils, épuration). Ensuite, la fabrique – parfois tumultueuse - de la mémoire de ce maquis est questionnée par le prisme des victimes : lesquelles sont commémorées ? Par qui et comment ? Et lesquelles ne le sont pas ?
Marc Bergère. De quoi les épurés sont-ils « victimes » en Bretagne ? Retour sur les réalités et spécificités de l’épuration en Bretagne
Professeur en histoire contemporaine à l’université Rennes 2 et au laboratoire Tempora, Marc Bergère est spécialiste de l’histoire de l’épuration en France, sujet auquel il a déjà consacré plusieurs livres dont L’épuration en France [Coll. Que sais-je ? 2023, 2e édition]. Après Vichy au Canada. L’exil québécois de collaborateurs français [Rennes, PUR, Montréal, PUM, 2015], il publie en cette rentrée un livre inédit et original sur l’exil des collaborateurs français après la Seconde Guerre mondiale [PUF, octobre 2024].
Unis dans une double communauté de destin, de vaincus de la Libération et de cibles d’une épuration dénoncée comme arbitraire, les épurés se posent rapidement en « victimes » dans le cadre d’une contre-mémoire de la Libération. Si cette dernière reste au départ confidentielle et marginale, elle gagne ensuite clairement en audience à compter de 1948 jusqu’à nos jours compris. Dès lors, il appartiendra à cette communication de faire le point sur les réalités de l’épuration en Bretagne. Ce sera aussi l’occasion de souligner certaines spécificités de la situation bretonne au regard du cadre national.
Fabien Lostec. L’épuration des femmes en Bretagne : retour sur l’événement et sa mémoire
Docteur en histoire contemporaine, chercheur associé à Tempora, enseignant et chargé de cours à l’université Rennes 2, sa thèse, Condamnées à mort. L’épuration des femmes collaboratrices, 1944-1951, a été publiée en 2024 à CNRS éditions.
Spécialiste de l’histoire des femmes et du genre et de l’épuration, il a publié plusieurs articles sur ces questions, dont « Les jeunes collaboratrices et les jeunes collaborateurs face à l’épuration : une justice à part ? », paru dans Le Mouvement social en 2022, « Une justice oubliée : le rôle des tribunaux militaires dans la répression des faits de collaboration en France », publié dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine en 2023 et « Les collaboratrices face aux tribunaux de l’épuration : le cas de la Loire-Inférieure », paru dans les Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest en 2020.
Les travaux des historiens sont unanimes : en Bretagne, les femmes furent particulièrement visées par l’épuration, qu’elle soit extrajudiciaire ou judiciaire. Toujours très présent dans les mémoires collectives, le sujet a effectué un retour dans l’actualité médiatique ces dernières années (romans, articles de presse ou ouvrages plus ou moins documentés par un travail d’archives), souvent au prisme des seules tontes et exécutions sommaires. Mais il apparaît souvent déconnecté du contexte de la Libération et domine par l’image des femmes comme seules victimes d’une épuration présentée comme « sauvage », au risque d’une certaine confusion mémorielle. À l’heure du 80ᵉ anniversaire de la Libération, il est donc important de proposer un retour sur l’événement et sa mémoire.
Frédéric Le Moigne. Leurre victimaire. Mgr Serrand à la Libération
Maître de conférences (HDR) en histoire contemporaine à l’Université de Bretagne occidentale, ses recherches portent sur les élites catholiques au XXe siècle.
L’évêque de Saint-Brieuc, Mgr Serrand, doit-il être rangé parmi les victimes de l’épuration ? Rien ne serait plus faux que de répondre par l’affirmative. L’intéressé, lui-même, ne s’est jamais considéré comme tel. Dans la tempête de l’été 1944, il s’accroche à son siège épiscopal, sans rien renier de son passé vichyste. La désignation d’un coadjuteur en 1945 ne peut être considérée comme une sanction, mais bien comme la solution arrangeant tous les acteurs.
La question est donc de se demander quel intérêt pousse la société libérée à refuser la démission de Mgr Serrand alors même qu’elle prétend en faire une figure de suspect ou de victime.
Sébastien Carney. Les victimes du mouvement breton (1944)
Maître de conférences d'histoire contemporaine à l'Université de Bretagne occidentale, membre du Centre de recherche bretonne et celtique, il travaille sur le nationalisme breton du début du XXe siècle.
« Victimes illégitimes », « victimes » entre guillemets : jugement de valeur et guillemets de gêne témoignent de la difficulté de penser les victimes de l'épuration, voire les victimes tout court. Celles du mouvement breton, c’est-à-dire les militants ayant été tués pendant l'épuration, jusqu‘ici instrumentalisées par des entrepreneurs mémoriels, méritent d'être enfin historicisées et constituent un cas d'école permettant de réfléchir é ce qu'est une victime, pour qui, quand et pourquoi.
Dimitri Poupon. Gouesnou, 7 août 1944, un massacre oublié ?
Docteur en histoire contemporaine, il a soutenu sa thèse sur le massacre de Penguerec à Gouesnou, le 7 août 1944. EIIe a été publiée ou CRBC en 2024 sous le titre Le massacre de Penguerec, Gouesnou le 7 août 1944. Récits et mémoires d’un drame.
Entre juin 1940, et l’été 1944, Gouesnou est une commune sans histoire. L’Occupation et les relations avec les soldats du IIIe Reich se passent globalement bien. La Résistance y est très peu présente, et la vie des habitants est rythmée par les alertes aériennes.
Deux mois après le débarquement de Normandie, une partie de la IIIe armée du général Patton fonce sur Brest afin de prendre son port. Dans le même temps, des parachutistes français, membres des SAS, viennent en aide au petit groupe FFI de Gouesnou. Le 7 août, alors que les Américains sont à quelques encablures de Gouesnou, SAS et FFI décident d’attaquer les quelques soldats allemands encore présents dans le bourg.
Les Allemands contre-attaquent, et finissent par prendre des otages. En quelques heures se produit le massacre de civils le plus important de Bretagne. Quarante-trois personnes furent massacrées par des soldats de la Kriegsmarine. Si cet événement marque aujourd’hui encore la commune, son histoire, elle, n’a pourtant jamais trouvé d’écho au-delà des frontières gouesnousiennes. Pourquoi ?
Yann Celton. Les morts, la comtesse et le calice
Bibliothécaire diocésain de Quimper, il est conservateur délégué des antiquités et objets d’art du Finistère, chercheur associé au CRBC. Il a publié L’Église et les Bretons, de la Révolution au XXIe siècle, chez Palantines.
Au lendemain de l’explosion de l’abri Sadi-Carnot, un travail de dénombrement se met en place : identification des victimes, autant qu’il est possible et inventaire des objets trouvés dans l’abri. Des listes de noms sont diffusées par la presse, les familles invitées à se rapprocher d’un greffier de paix désigné à cet effet. Alix de Villemagne, comtesse de Carbonnière est très active dans ce travail. Première à être descendue dans l’abri, elle suggère de réaliser, avec des bijoux des victimes, une « chapelle » (calice, ciboire, plateau), probablement destinée à la crypte de la nouvelle église des Carmes (mais jamais édifiée). Ces objets sont toujours en usage aujourd’hui.
La réalisation du travail est confiée à un orfèvre parisien, Donat Thomasson, qui y place de nombreux éléments liés au drame. Mais les archives et textes d’époque restent muets sur cette création : ce n’est qu’au quarantième anniversaire de la catastrophe qu’il est question, pour la première fois, dans une homélie, du calice des morts de l’abri Sadi-Carnot.
Gildas Priol. Un chantier brestois d’histoire et de martyrologie : www.resistance-brest.net
Chercheur et conférencier amateur, Gildas Priol tente depuis 2013 de retrouver tous les noms et informations disponibles sur les résistants de l’arrondissement de Brest. Initiateur et animateur du projet Mémoires des Résistants et FFI de l’arrondissement de Brest, il est activement impliqué dans le milieu associatif lié à cette période. Il est membre du comité départemental du Finistère du Concours national de la Résistance et de la Déportation, du comité de pilotage du 80e anniversaire de la Libération du Finistère, et du Conseil départemental pour les Anciens Combattants, Victimes de Guerre et Mémoire de la Nation.
Lancé en 2019 par la ville, le site Mémoires des résistants et FFI de l’arrondissement de Brest est une base de données contenant plus de 1 000 notices biographiques à ce jour. Parmi tous les profils présentés, de nombreux ont perdu la vie durant la Seconde Guerre mondiale, dans l’action ou par représailles. Après une rapide présentation du projet, il sera communiqué un bilan chiffré des victimes locales de la Résistance et des F.F.I. Cette autopsie détaillera les typologies (appartenance à des réseaux et mouvements de résistance, conditions d’arrestation, conséquences) et géographies d’engagement, ainsi qu’une sociologie de ces parcours brisés
Isabelle Le Boulanger. L’expérience de la déportation : un fardeau qui se transmet
Docteure en histoire et chercheuse associée ou CRBC, elle est l’auteure d’une douzaine d’ouvrages ayant trait à l’histoire des mentalités en Bretagne à l’époque contemporaine. Cinq d’entre eux portent sur la période de la Seconde Guerre mondiale dont Victimes de la répression nazie en Bretagne. Leurs enfants parlent, publié en 2021 aux éditions Coop Breizh.
Presque 80 ans après leur libération, alors que le nombre de rescapés encore en vie s’étiole au point de disparaître, les camps nazis continuent d’investir le champ public non seulement parce qu’iIs ont détruit, dans des conditions épouvantables, l’existence de millions d’individus, mais aussi parce que des personnes ont réussi à y survivre.
La disparition des derniers déportés pose aujourd’hui la question de la mémoire de la déportation. Donner la parole à leurs descendants constitue une approche du sujet qui révèle des aspects peu étudiés jusqu’ici. Elle met en lumière la transmission involontaire de la déportation des survivants des camps à leurs enfants faisant de ces derniers des victimes du passé de leur parent.
Ci-dessous, les organisateurs, Sébastien Carney (à gauche) et Christian Bougeard, à l’issue du colloque