L’évaluation de la politique "langue bretonne" du Finistère
J'ai été contacté il y a un an par Pierre Maille, le président du Conseil général du Finistère, pour être le président du comité d'évaluation de la politique "langue bretonne" du département. De quoi s'agit-il ?
Les collectivités territoriales sont désormais invitées à faire évaluer leurs politiques publiques, pour mesurer les effets des actions qu'elles engagent auprès des publics concernés. Le Finistère a donc décidé de mettre en œuvre en 2014 un programme d'évaluation sur deux de ses politiques :
- l'une étant le 3e schéma gérontologique "Bien vieillir en Finistère"
- l'autre concernant sa politique de promotion de la langue bretonne.
Quelques précisions, d'abord, sur le but et la méthode
Le principe de base d'une évaluation est qu'un Conseil général ne s'évalue pas lui-même. Le plus souvent, les collectivités concernées font appel à un cabinet d'experts. Le Finistère a préféré innover en optant pour une évaluation participative et en mettant en place des comités d'évaluation composés de représentants de la collectivité, d'associations, de partenaires et d'usagers. L’originalité d'une telle évaluation est le croisement d’un regard extérieur et d’une expertise interne à la collectivité, alimentée par des études et des auditions conduites auprès des acteurs et des publics concernés.
Je ne parlerai ici, cela va de soi, que de l'évaluation de la politique "langue bretonne". Un comité de 21 personnes a été constitué en vue de l'accompagner. Il a réuni :
- des représentants d'associations : Diwan, Div Yezh, Mervent, KLT, Divskouarn
- des partenaires institutionnels : Inspection académique du Finistère, Direction diocésaine de l'enseignement catholique, Office public de la langue bretonne
- des universitaires
- des représentants du Conseil général (élus et services).
Et c'est ce comité qu'il m'a donc été demandé de présider.
Ce qu'a fait le Comité d'évaluation
Il a appuyé sa réflexion sur de multiples sources :
- l’exploration et l’analyse des archives du Conseil général lui-même,
- la réalisation de plusieurs enquêtes originales,
- l’audition d’acteurs de terrain et d’experts, au nombre de 23.
L'évaluation s'est déroulée sur toute l'année 2014. Le Comité s’est réuni à trois reprises : en février, en juillet et en octobre. Je dois dire que les échanges en son sein ont toujours été sereins. Des divergences d’appréciation se sont parfois exprimées, avec de la vivacité s’il le fallait, et c’est bien naturel. Les conclusions ont été adoptées sur la base d’un réel consensus.
L'action en faveur de la langue bretonne est une politique volontariste (et non obligatoire) du Conseil général du Finistère. Concrètement, il consacre chaque année un budget d'environ 2,2 millions d'euros à cette politique. L'évaluation a donc porté sur ce qui a fait l’objet de ses interventions au cours des dix dernières années. Le choix a été fait de la concentrer sur quatre thématiques prégnantes ou qui ont mobilisé des moyens importants de la part du département sur la période considérée :
- le dispositif lié au bilinguisme précoce
- l’initiation à la langue bretonne dans les écoles primaires
- l’enseignement bilingue
- et l’opération « Quêteurs de mémoire ».
Comme les actions du Conseil général du Finistère en matière de langue bretonne n’avaient jamais fait l’objet jusqu’à présent d’une telle restitution, il a paru nécessaire de produire en outre un focus sur le contexte et l’historique de cette politique.
L'évaluation a donné lieu à la rédaction d'un rapport de 161 pages, qui a été remis la semaine dernière au président du Conseil général, Pierre Maille. Il a été officiellement présenté aux élus lors de la session de jeudi 18 septembre.
24 préconisations
Pour chacune des thématiques abordées, le rapport produit un historique, décrit les interventions du Conseil général, fournit des repères, des chiffres et des graphiques tant qu'il en faut sur les actions menées par les institutions et les associations. Le point de vue de ces dernières a été sollicité, de même que l'avis des familles, des élèves, des enseignants ou des personnels concernés, selon le cas.
En conclusion de chaque chapitre, sont présentés une analyse, des constats en termes de forces et de faiblesses et un certain nombre de préconisations. Tout ceci est un peu technique, je le reconnais, mais incontournable. Et c'est, au bout du compte, beaucoup plus lisible qu'on pourrait le croire. Au total, ce sont 24 préconisations qui ont été formulées dans le rapport. Elles se présentent comme des recommandations à destination de la collectivité territoriale – et éventuellement à celle de ses partenaires et interlocuteurs.
Tout un chacun peut télécharger d'une part une synthèse, d'autre part le rapport lui-même dans son intégralité sur le site du Conseil général du Finistère.
Vers un schéma départemental en faveur de la langue bretonne ?
L'une des préconisations principales du rapport invite le Conseil général à adopter un schéma départemental pluriannuel en faveur de la langue bretonne. Un tel schéma induirait une meilleure lisibilité de sa politique, tant pour ses partenaires que pour lui-même. Il induirait par ailleurs une plus forte exigence de transparence et de suivi de la part de ces partenaires. Lors de la session du 18 décembre, cette proposition a retenu l'attention de plusieurs élus, celle de Chantal Simon-Guillou en particulier.
Les différentes collectivités territoriales (région, département, communes et intercommunalités) devraient par ailleurs se concerter pour clarifier leurs interventions dans le domaine de la langue bretonne. En effet, 17 sur 30 des actions mises en œuvre par le Conseil général du Finistère sont également soutenues par le Conseil régional de Bretagne.
L'acquisition de la langue bretonne par les enfants
Comme la très grande majorité des nouveaux parents ignorent désormais le breton, ils ne sont pas en capacité de transmettre à leurs enfants une langue qu'ils ne patiquent pas eux-mêmes. L'une des caractéristiques du Finistère est de proposer une palette diversifiée pour son acquisition par les enfants ou pour l'éveil à la langue.
Pour ce qui est des actions en faveur du bilinguisme précoce, le rapport préconise la mise en place de conditions favorables pour que l'éveil au breton puisse être assuré en interne au sein des crèches et des RPAM (relais parents assistants maternels). Jusqu'à présent, le dispositif concerne 24 crèches et 14 RPAM dans le département, et ce sont surtout des intervenants extérieurs qui l'assurent.
Le département du Finistère est le seul à proposer, à raison d'une heure hebdomadaire et pour près de 8 000 élèves, une initiation au breton dans les classes maternelles et primaires. Mais en cycle 3, cette initiation au breton entre pour une part en concurrence avec la langue étrangère dont les élèves doivent alors commencer l'apprentissage : il convient donc de favoriser la continuité. Peut-on envisager sa généralisation progressive à l'ensemble des élèves du primaire ? Les associations concernées le demandent. Un tel projet mobiliserait assurément des moyens importants en ressources budgétaires comme en ressources humaines et nécessiterait probablement le vote d'une loi : il convient donc de mener une étude de faisabilité à ce sujet.
Avec 7 402 élèves, le Finistère est de loin le département qui scolarise le plus grand nombre d'élèves de l'enseignement bilingue breton/français des trois académies concernées (Rennes, Nantes et Paris), puisque chiffre correspond à 47 % du total des élèves bilingues en France. Mais dans le département on observe d'une part un certain déséquilibre géographique de l'offre, d'autre part une "fuite des élèves bilingues" au moment de l'entrée au collège, tant dans l'enseignement public que dans le privé catholique. Il s'impose de renforcer les conditions de réussite des écoles bilingues et de soutenir leur développement à venir.
Le dispositif "Quêteurs de mémoire", enfin, a été reconnu comme une opération positive et comme une initiative originale, qui a contribué au renforcement des liens intergénérationnels entre jeunes apprenants de breton et locuteurs adultes. Le dispositif ayant été arrêté en 2012, il est suggéré de le relancer sur un format renouvelé et repensé.
Après l'évaluation : quelle suite ?
Plusieurs élus sont intervenus lors de la session du 18 septembre. Michael Lossouarn a livré un témoignage personnel sur la distance qu'il perçoit entre le breton de son grand-père (qu'il a dans l'oreille et qu'il voudrait se réapproprier) et la langue normée qu'il a découverte en voulant suivre un cours de breton sur un site internet. Marie-Françoise Le Guen et Gérard Daniélou ont fait part de leur intérêt pour le rapport. La discussion s'est finalement prolongée en breton.
Le Conseil général sera très vite invité à donner une suite à l'évaluation de sa politique "langue bretonne" et aux préconisations qui figurent dans le rapport : Pierre Maille a en effet annoncé qu'une délibération-cadre figurera à l'ordre du jour de la prochaine session, fixée au 29 janvier 2015.
Une avancée pour Diwan
Concours de circonstance : au moment même où le rapport d'évaluation était présenté aux conseillers généraux, à Quimper, jeudi 18 septembre vers midi, Manuel Valls annonçait à Brest la prise en charge des salaires des enseignants Diwan à compter de 18 mois après l'ouverture d'une nouvelle école par immersion. Jusqu'à présent, la prise en charge n'intervenait qu'au bout de 5 ans (selon les dispositions de la loi Debré).
Comme la convention que signe chaque année le Conseil général du Finistère avec Diwan prévoit qu'il lui soit versé une aide de 790 000 € (en 2013), le rapport d'évaluation demandait précisément que la collectivité accompagne Diwan dans ses démarches en vue de la contractualisation et de la prise en charge de ses enseignants dès l'ouverture d'une nouvelle école. J'avais déjà préconisé une décision de ce type en 2010 dans le rapport que j'avais rédigé cette année-là sur l'enseignement du et en breton pour le Recteur de l'Académie de Rennes.
La mesure était en attente de validation au Rectorat. Diwan se demandait bien pourquoi aucune suite ne paraissait devoir être donnée au relevé de conclusions qu'il avait signé il y a plusieurs mois. On comprend que son président considère l'annonce du Premier Ministre comme une avancée.