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Le blog "langue-bretonne.org"
8 août 2014

70 ans, ça se marque

Ouest France n° 1

Ce soixante-dixième anniversaire, c'était hier celui du 1er numéro du journal Ouest-France, paru à Rennes le lundi 7 août 1944 très exactement. Le premier quotidien de France – et par là même le premier quotidien francophone, selon France Inter – n'a pas manqué de le souligner dans toutes ses éditions.

Son prédécesseur, l'Ouest-Éclair avait été interdit quelques jours plus tôt pour collaboration. Son dernier numéro était paru le 1er août. Plusieurs de ses dirigeants ont ensuite été jugés et condamnés. C'est une nouvelle direction, composée de résistants, qui fait paraître le nouveau journal.

La une de ce premier numéro est bien évidemment reproduite pour l'occasion dans le hors-série collector et grand format édité sous le titre "70 ans d'information au service des lecteurs". La lecture de cette une ne manque pas d'intérêt.

À gauche du titre "Ouest-France", on remarque la photo moyen format du général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française. Plus bas, une autre photo de la foule sur la place de la Mairie de Rennes, autour des camions des Alliés américains qui venaient de libérer la ville.

Sous le titre du journal, deux mentions :

  • la première ligne nomme les régions (comme on dit aujourd'hui) qui vont constituer la zone de diffusion du nouveau (comme de l'ancien) quotidien : Bretagne, Normandie, Maine, Anjou, Poitou
  • la seconde définit Ouest-France comme "Journal républicain du matin". C'est la reprise de la manchette d'avant-guerre. Sous l'Occupation, le terme "républicain" avait été banni, et l'Ouest-Éclair se présentait comme un banal "Journal quotidien régional". Le rétablissement de l'appellation d'origine donne le ton.

La France et la Bretagne

Forcément, ce sont les antagonismes et les enjeux du moment qui constituent la trame de l'éditorial, "Enfin libres !" Ouest-France se réjouit qu'"après quatre ans d'oppression et de servitude, nous avons de nouveau le droit d'être des Français et de le proclamer." Il n'oublie pas de saluer "ceux sans qui nous serions restés asservis" : l'Angleterre, les États-Unis, la Russie.

A contrario, sont dénoncées la brutalité et les exactions de l'occupant. Mais l'éditorial insiste aussi sur le fait que les nazis ne sont pas "les seuls auteurs de nos souffrances" et sur "le spectacle répugnant de certaines complicités" dont ils ont bénéficié. Et là, le nouveau quotidien désigne explicitement "une clique d'arrivistes et d'imposteurs à qui l'armée allemande a servi de sage-femme, de marraine et de nourrice".

L'allusion à la collaboration du mouvement breton (sans aucune précision cependant sur ses variantes politique, culturelle ou militaire) est d'autant plus limpide que l'éditorialiste de Ouest-France affirme haut et fort que "les Bretons sont Français, avant tout […]. Ils sont Français justement parce qu'ils sont Bretons […]. Et c'est d'une voix tremblante qu'ils lancent […] ce cri de leur amour filial Vive la France !"

Ce qui est frappant à la lecture de cette une historique de Ouest-France, c'est assurément cette volonté d'afficher l'adhésion des Bretons à la France, définie comme "notre patrie […] bien aimée", comme un soulagement qu’est désormais écarté le péril irrédentiste qui s'était manifesté pendant la guerre. Significativement, le journal reproduit un télégramme de Victor Le Gorgeu, commissaire de la République de la région de Rennes, au général de Gaulle, l'assurant "des sentiments de loyalisme de l'immense majorité de la population bretonne à l'égard du Gouvernement provisoire de la République". De Rennes, il est dit qu'elle a "retrouvé son vrai visage de grande ville française".

Tout aussi remarquable est l'insistance que met ce jour-là Ouest-France à placer la Bretagne au premier plan et à exprimer le sentiment des Bretons. Il suffit de parcourir les titres et les articles de la première page :

  • La Bretagne délivrée de l'envahisseur
  • L'entrée de nos alliés américains dans la capitale bretonne a donné lieu à d'indescriptibles manifestations populaires
  • Vendredi 4 août 1944… Une date qui marquera dans les annales de la vieille capitale bretonne
  • Les Allemands allaient-ils […] obliger les Alliés à un combat de rue dans la belle et historique capitale de la Bretagne…
  • Avance foudroyante des Américains en Bretagne
  • La Bretagne est maintenant coupée du nord au sud.

Je ne sais combien de temps une telle dichotomie s'est maintenue dans les pages de Ouest-France au cours de la période qui a suivi, ni si elle a donné lieu à quelque étude de la part d'un historien de la presse. Elle apparaît en tout cas comme révélatrice de la période de la Libération.

Pour en savoir plus : Ouest France. 1944-2014. 70 ans d'information au service des lecteurs. 70 unes -70 grands événements. 144 p., 15 €.

Commentaires
F
Les travaux d'historiens ne manquent pas à propos de l'incontournable et influent quotidien de la rue du Pré Botté à Rennes, puis de Chantepie. Il faut trier. Les études ou témoignages célébrant cette grande aventure de presse sont nombreux. Plus rares les enquêtes critiques, ou contradictoires. Les positions ultra-catholiques, militaristes et antidreyfusardes des pères fondateurs de l'Ouest Eclair ne sont pas souvent évoquées, non plus que les conditions de la relance de Ouest France à la libération par une branche plus présentable...de la même famille!
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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