Le 30e anniversaire d'An taol-lagad
C’est le 24 décembre 1982 qu’a été diffusé le premier numéro d’An Taol-Lagad (Le coup d'œil) sur les antennes de France 3 Bretagne : joli cadeau de Noël pour les bretonnants. Il existait déjà, depuis quelque temps, deux chroniques de 3 et 5 minutes dans la semaine. Mais là, c'est le premier vrai journal en langue bretonne, que j'ai présenté sous la forme d'un hebdomadaire de 13 minutes à la suite du JT régional en français, à 19 heures 45 à ce moment-là, le vendredi soir. Presque en prime-time, dixit Anna Quéré dans l'émission Bali Breizh du 16 décembre dernier.
La création d'An taol-lagad est intervenue dans le contexte de la libéralisation des ondes qui a suivi l'élection de François Mitterrand comme Président de la République en 1981. Avec le lancement de RBO à l'été 1982, la radio de service public s'était déjà séparée de FR3 pour devenir une station à part entière sur l'ouest-Bretagne : le slogan "FR3, c'est aussi la radio" devenait périmé à compter de ce moment.
Une nouvelle dynamique s'était également imposée dans les rédactions des journaux télévisés régionaux. An Taol-Lagad témoignait à sa manière de cette ouverture au bénéfice de l'expression en langue bretonne, en donnant la possibilité aux bretonnants de commenter et de suivre l'actualité en leur langue à la télévision.
Plusieurs centaines d'interviewés
An taol-lagad devient quotidien au tournant des années 1990, peu avant la création de France 3 Iroise en juillet 1992. Il adopte à partir de ce moment-là un format de 5 à 6 minutes. L'édition en langue bretonne de la mi-journée et celle en langue française du soir fonctionnent dès lors en symbiose. Mais au lieu de rendre compte des événements marquants de la semaine comme il le faisait en formule hebdomadaire, An taol-lagad doit désormais refléter l'actualité au jour le jour.
Il n'y a pas à ce moment de difficulté particulière pour interviewer des bretonnants en différentes circonstances, que ce soit des agriculteurs ou des pêcheurs bien sûr, mais aussi des élus, des responsables économiques ou des syndicalistes.
Plusieurs centaines de personnes ont été interviewées toutes ces années-là en breton pour An taol-lagad. L'évolution sociolinguistique de la Basse-Bretagne va cependant s'accélérer et il est vrai que le nombre de bretonnants va ensuite diminuer rapidement (mais il y en a encore pas mal !). L'intérêt pour la langue bretonne va se renforcer dans le même temps.
Les premiers numéros d'An taol-lagad
Quand je revois le sommaire des premiers numéros d'An taol-lagad, je suis assez fier des sujets que nous avons traités pour le lancement de ce nouveau rendez-vous. Le 24 décembre 1982, on y parlait bien sûr de Noël, mais aussi des difficultés des éleveurs de moutons, des nouveaux équipements du Cross Corsen, des ardoisières aujourd'hui disparues en centre Bretagne, des marins bretons secourant les Boat People… Sans oublier le portrait de Rafa, un Algérien venu en compagnie de son père s'installer dans le sud Finistère et qui avait appris le breton au contact des paysans qu'il fréquentait.
J'ai aussi apprécié de pouvoir tourner quelques magazines - en breton, bien sûr - en dehors de la région, par exemple sur les Bretons de la RATP, très nombreux à cette époque, avec les marins du dernier caboteur breton (basé à Paimpol), ou encore sur les vignerons d'origine bretonne installés en Bourgogne, en Champagne ou dans le Minervois.
D'ailleurs, je suis toujours en contact avec Jean Le Calvez, qui s'était installé dans la petite commune de La Caunette, près de Minerve, dans l'Hérault !
Plus de journalistes bretonnants
En présentant vendredi dernier la dernière édition d'An taol-lagad pour 2012, Muriel Le Morvan observait que les journalistes bretonnants à France 3 Iroise sont aujourd'hui sensiblement plus nombreux qu'il y a trente ans : c'est exact, et c'est heureux, et c'est le signe des temps. J'ai été en 1982 le premier journaliste de langue bretonne de la télévision régionale, ce qui n'allait pas de soi pour tous. Mais je n'ai jamais été seul, puisque la création du journal An taol-lagad a donné lieu à l'affectation d'une équipe de reportage dédiée, avant que les effectifs en poste à Brest et les moyens soient renforcés en 1992 lors du lancement de France 3 Iroise – 20e anniversaire aussi cette année, un peu discret aussi.
Je ne peux mentionner ici les noms de tous ceux avec qui j'ai eu le plaisir de travailler et me contenterai de citer ceux qui sont concernés par les mouvements de personnel du moment :
- Herri Morvan, trop longtemps collaborateur à temps partiel, mais actif, des émissions en langue bretonne, devenu enfin journaliste : il arrive à la retraite en cette fin d'année
- Ronan Hirrien a quitté France 3 Iroise pour rejoindre l'équipe de Bali Breizh que pilote Bernez Rouz à l'antenne, à Rennes
- Jean-Pierre Lyvinec, Rennais depuis plusieurs années par nécessité, fait le chemin inverse et intègre la rédaction de France 3 Iroise
- Gurvan Musset, rédacteur en chef d'An taol-lagad et d'Iroise, va lui-même quitter le Finistère dans quelques semaines avant de rejoindre ensuite la capitale (de la Bretagne).
Je me dois de mentionner enfin Guy Hamelin et Gaby Bourlès, les deux premiers JRI qui ont successivement mis leur compétence et leur empathie au service d'An taol-lagad pendant des années.
Nouvelle époque
Les temps changent, et c'est Tangi Kermarec, un bretonnant de la génération Diwan et journaliste chevronné, qui devient au 1er janvier 2013 le 4e rédacteur en chef d'An taol-lagad et d'Iroise. Les téléspectateurs le connaissent déjà puisqu'il a présenté le journal régional à Rennes pendant quelque temps, avant de devenir le correspondant de France 2 dans l'ouest. Il est par ailleurs l'auteur avec son frère Erwan d'un très beau documentaire de 52' tourné à l'occasion d'un trek à 5 000 mètres d'altitude sur les hauteurs du Ladakh.
Les temps sont durs, et dans l'édition du 21 décembre, Muriel le Morvan annonçait qu'il n'y aurait pas cette année de journal en langue bretonne à l'antenne pour Noël, ni d'ailleurs d'ici début janvier. Ce qui est certes regrettable et fait d'une certaine manière contraste par rapport à il y a trente ans. Le contexte n'est plus le même. Mais les personnels de France 3 Iroise comme leurs collègues de Rennes ont fait grève une journée pour manifester leur refus que "la télévision régionale [devienne] invisible". La situation au sein de France Télévision est tendue, et singulièrement à France 3. Affaire à suivre.