Une nouvelle belle édition épurée du Barzaz Breiz, mais…
Pardon, j’aurais dû l’orthographier Barzhaz Breizh, comme symboliquement écrit en blanc tranché sur le fond noir à hermines de la couverture du nouvel opus. Je l’ai retranscrit à l’identique de la graphie qu’avait utilisée son auteur, le vicomte Théodore Hersart de la Villemarqué lui-même, lorsqu’il avait publié la toute première édition de son ouvrage en 1839, tout comme celles qui ont suivi de son vivant en 1845 et 1867. La réédition intégrale qu’en a fait la Librairie académique Perrin en 1963 l’a été à l’identique intégralement, tout comme celle de Maspero en 1981. L’ouvrage n’est cependant plus référencé au catalogue de Perrin.
Textes breton et français en vis-à-vis
Formellement, le Barzhaz Breizh que publient les éditions Yoran Embanner est une belle réalisation éditoriale : couverture cartonnée comme décrite ci-dessus et beau papier. La mise en page est soignée, tout comme la typographie. La disposition retenue par l’éditeur contribue assurément à la lisibilité des textes aussi bien en breton qu’en français. Dans cette édition, la version en langue bretonne apparaît sur les pages impaires et celle en français en vis-à-vis sur les pages paires, comme dans la toute première édition de 1839.
Elle diffère donc de celle de 1867, la dernière édition validée par La Villemarqué lui-même, où le texte breton ne figurait qu’en tout petit caractère en bas de page sous le texte français. Il expliquait l’avoir fait « cette fois […] comme dans les éditions classiques, » n’ayant pas « cru manquer de respect à [sa] langue maternelle en la traitant comme on traite celle de Virgile. » Il l’avait fait en quelque sorte en pensant hisser le breton au rang prestigieux des classiques de la littérature gréco-latine.
Une version française indispensable
En tout état de cause, le vicomte Hersart de la Villemarqué ne pouvait concevoir de publier les chants du Barzaz Breiz qu’accompagnés de leur version française, quelle qu’en ait été la présentation et c’est précisément ce qui a fait son succès en France et en Europe. Per Denez observait en 1997 qu’au début du XIXe siècle l’Ossian de l’Écossais MacPherson avait été lui aussi « largement lu en traduction » et que si les Ballads of the Scottish Border ont assuré la renommée de Walter Scott c’est qu’ils avaient été « souvent traduits ».
La Villemarqué a tenu à reproduire la version bretonne des chants remaniée par ses soins (sans le dire) à partir de ses cahiers de collecte : un gage d’authenticité en quelque sorte à l’égard de ses lecteurs, à l’instar des documents historiques, chartes ou manuscrits anciens que reproduit un historien à l’appui de ses analyses.
Ses idées illustrées par des chants
Dans son ouvrage « Barzaz-Breiz. Une fiction pour s’inventer », Nelly Blanchard insiste sur « ce ton scientifique » qu’il emploie, si bien que « l’impression première que procure la lecture du Barzaz-Breiz est celle d’assurance et de fermeté » avec une abondance d’arguments, de notes et de citations. « Le texte du Barzaz-Breiz, ajoute-t-elle en renversant la perspective habituelle, n’est pas constitué de chants commentés, mais bien d’idées illustrées par des chants. » Ces chants que La Villemarqué présente comme la voix du peuple breton, il les a triés et choisis en réalité pour qu’ils « correspondent bien à ses idées et illustrent ses opinions. »
« On n’a pas le droit de modifier le texte du Barzhaz Breizh »
Des lettrés bretonnants ont souhaité dès 1940 disposer d’une édition des seuls textes bretons du Barzaz Breiz pour une lecture en continu. Les premières tentatives « corrigeant » le texte à l’excès n’ont pas abouti. À la suite d’Erwan Vallerie en 1971 et d’autres écrivains, Per Denez décrétera en 1988 que « l’on ne peut pas, on n’a pas le droit de modifier le texte du Barzhaz Breizh, on doit le prendre tel qu’il est. » Il en publie cette année-là une édition à Moulladurioù Hor Yezh [Éditions Hor Yezh, ces deux derniers termes étant le titre d’une revue signifiant Notre Langue].
L’édition 1988 est cependant transposée en orthographe unifiée — il fallait s’y attendre — et en tenant compte de surcroît des règles de la langue « actuelle », ce qui est une autre démarche. La normalisation a été poussée pour la mettre en conformité avec les standards de la langue littéraire, pour ce qui est des mutations et de l’ordre des mots dans la phrase par exemple. Mais ont été préservées les variantes telles que « livirit » par rapport au standard « lavarit », tout comme les rimes finales restituant une prononciation à l’oral. Enfin, les partitions musicales ont fait l’objet de corrections jugées nécessaires par des musiciens avertis.
À suivre : Pourquoi, cependant, la nouvelle édition en breton du Barzhaz Breizh diffère-t-elle de la précédente, et autres considérations.