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Le blog "langue-bretonne.org"
3 juillet 2022

Le "matriarcat breton" : Anne Guillou dans Le Peuple breton

Guillou Anne-1 Le Peuple breton Mariarcat

Voilà une idée reçue dont on ne réussira peut-être jamais à se défaire et qui colle aussi bien que du sparadrap. On dit assez souvent des femmes en Bretagne qu’elles sont puissantes, voire dominantes. Peut-on pour autant parler d’un matriarcat breton ? De manière assez inattendue, le journal de l’UDB donne la parole sur ce sujet sans lien apparent avec l’actualité dans son numéro de juin à la sociologue Anne Guillou. 

Il en a même fait sa une, avec la photo clairement datée et carrément kitch d’une femme à la corpulence imposante et fumant la pipe comme un homme. Serait-ce pour discréditer l’idée même de matriarcat breton ? D’évidence, aucune Bretonne ne voudrait être associée à une telle image.

C’est, semble-t-il, à compter des années 1980, que le concept s’est popularisé à la suite de la parution coup sur coup de deux ouvrages qui ont tenté de le théoriser. En 1983, on doit le premier, "Le matriarcat psychologique des Bretons", au psychiatre Philippe Carrer, par ailleurs fondateur de la Société bretonne d’ethnopsychiatrie. Le second est l’œuvre, en 1984, de l’ethnologue Agnès Audibert et s’intitule tout simplement "Le matriarcat breton". 

Le matriarcat breton : mythe ou réalité ?

L’un comme l’autre impose la figure de la mère dominante, voire dominatrice ou destructive, pouvant conduire leur mari ou leur fils à une dépréciation d’eux-mêmes. S’ensuivent des addictions à l’alcool, des situations de mal-être, de la difficulté à vivre et jusqu’à des comportements dépressifs ou suicidaires. 

En trois pages du Peuple breton, Anne Guillou s’interroge : "Le matriarcat breton : mythe ou réalité ?" Elle propose une synthèse documentée et lisiblement rédigée de l’ouvrage qu’elle a publié en 2007 "Pour en finir avec le matriarcat breton" et sous-titré "Essai sur la condition féminine". Elle admet que "la situation observée par l’ethnologue a pu être observée". Mais prenant le contrepied des thèses vulgarisées par Carrer et Audibert, elle assure que la plupart des mères bretonnes, qu’elles soient de la zone côtière ou de l’intérieur de la Bretagne, ne se sont pas reconnues dans ces portraits de femmes excessives.

Des mères puissantes et dominatrices, ajoute la sociologue, sont le fait de sociétés claniques. Mais il y a bien longtemps que la Bretagne n’est plus structurée en clans, si elle l'a jamais été. Je cite le paragraphe dans lequel elle décrit son approche de la question :

  • "Si elle [la Bretagne] a conservé des particularités de sa culture originelle, sa langue, certains schèmes de pensée, elle s’est enrichie des apports de la société globale. Par l’école, l’ouverture aux milieux professionnels, les mouvements militants, l’engagement politique, les femmes ont bénéficié dune émancipation sociale, économique, qui les fait chaque jour sortir de l’univers domestique. Elles cumulent désormais la fonction génitrice, le travail rémunéré et souvent des charges associatives ou politiques."

Anne Guillou matriarcat

Une mise au point nécessaire

Anne Guillou fait en outre observer que les anthropologues s’accordent sur la présence universelle du patriarcat : ce sont "les hommes [qui] occupent une place dominante dans le domaine économique, politique, culturel". Dès lors, dire que les femmes en Bretagne occupent une position dominante lui "semble une affirmation audacieuse, voire imprudente, tant l’observation objective des réalités autorise le doute". 

Elle reconnaît que la croyance en la réalité d’un matriarcat breton est assez largement répandue. Mais utiliser ce terme pour désigner les femmes d’aujourd’hui "serait  faire preuve d’un regard décalé, d’une pensée anachronique. Le terme est devenu obsolète". En Bretagne aussi, les femmes contrarient parfois les projets masculins…

Voilà la mise au point qu’il fallait faire et que fait également Anne Guillou lors des conférences qu’on lui demande régulièrement sur ce sujet. Ce n’est pas surprenant, en ce temps où les féministes se font à nouveau entendre dans les villes de Bretagne, comme Quimper tout récemment, ailleurs en France et en d’autres pays du monde à propos de la question hypersensible de l’IVG.

Pour en savoir plus :

  • Anne Guillou. Le matriarcat breton : mythe ou réalité ? Le Peuple breton, n° 701, juin 2022, p. 12-14. Disponible en kiosque ou sur le site lepeuplebreton.bzh
  • Anne Guillou. Pour en finir avec le matriarcat breton. Essai sur la condition féminine. Morlaix, Skol Vreizh, 2007. Actuellement en promotion.
  • Philippe Carrer. Le matriarcat psychologique des Bretons. Paris, Payot, 1983.
  • Agnès Audibert. Le matriarcat breton. Paris, PUF, 1984.

À lire dans le même numéro du Peuple breton :

  • Gonzalo Francisco Sanchez. Castille-et-Léon : la difficile normalisation du léonais, p. 24-25. S’il est souvent question de l’actualité du catalan, du basque, voire du galicien, la situation du léonais est moins connue. C’est une variante locale de l’astur-léonais qui se parle dans trois des provinces de la communauté autonome de Castille-et-Léonias en Espagne.
  • Tifenn Siret. Le Bruit du silence, p. 26-27. La violation des droits humains qu’inflige le pouvoir chinois aux Ouïghours musulmans dans le Xinjinag, en Chine.
Commentaires
D
Les mythes ont la vie dure. <br /> <br /> Mais ne sont-ils pas entretenus quelquefois par les témoins eux-mêmes, et non des moindres:<br /> <br /> "Les Bigoudènes sont connues pour leur soif d'autorité qu'elles affirmaient hautement ou dissimulaient sous une fausse humilité selon les circonstances, usant à volonté du verbe haut et de la larme facile". C'est un extrait du Cheval d'orgueil de PJ Helias ...<br /> <br /> Du même pays Bigouden, Edgar Morin fera, dans les 60's, l'observation en sociologue du rôle des femmes qu'il qualifie dans la "métamorphose de Plozevet" "d'agents secrets de la modernité" . <br /> <br /> Mais ni l'un ni l'autre, il est vrai, n'évoque ni ne prend à son compte le concept de "matriarcat" ...
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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