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Le blog "langue-bretonne.org"
10 août 2022

Les ambassadeurs 2022 de la langue bretonne : qui les nomme ? qui sont-ils ? que font-ils ?

Kannadour brezoneg PeB

Priz kannadour logo copie

Les deux entreprises qui ont été gratifiées de ce titre qui ne se veut pas anecdotique sont Treebal et Carabreizh : l’une est connue des geeks bretons en pointe et l’autre des gourmands. Toutes deux sont membres de Produit en Bretagne, et c’est le réseau lui-même qui récompense celles qui, en son sein, mènent "une action inspirante" en faveur de la langue bretonne.

Steven Guegeniat, chef d’entreprise à Brest et référent "langue bretonne" de Produit en Bretagne, a remis leur prix le 22 juillet dernier à David Godest pour ce qui est de Treebal et à Lisa Le Foll pour Carabreizh. (Photo ci-dessus, DR).

Une remise de prix dans la discrétion

Je dois dire que je ne l’aurais jamais su si l’information n’avait pas été relayée sur le site d’ABP (Agence Bretagne Presse), et c’est apparemment le seul média à l’avoir publiée. On doit en déduire que la remise de cette distinction à des lauréats pourtant nommés "pour leurs actions exemplaires" s’est faite dans la discrétion. Pas un mot dans aucun autre média. 

Le site de Produit en Bretagne lui-même n’en dit rien, si ce n’est une présentation en quelques lignes du pourquoi de cette initiative. On ne sait pas non plus qui ont été les lauréats des années précédentes. Sur son site, l'ambassadeur est désigné "kannad ar brezhoneg" en breton, "kannadour" dans le dossier de presse.

Carabreizh - 1

Les ambassadeurs savent-ils le breton ?

Bonne question. Carabreizh, c’est évident, ça sonne "breton".

L’utilisation du nom breton de la Bretagne à toutes les sauces ­– si je puis dire en l’occurrence – paraît inflationniste : on découvre tout le temps de nouveaux produits ou de nouvelles appellations qui incluent dans leur dénomination le terme breton "Breizh", parfois "Breiz". Il faut croire que c’est vendeur, ou porteur, comme on voudra. C’est l’affirmation manifeste d’un lien au territoire. Est-ce que ça en dit plus ?

Personne ne parle le breton chez Carabreizh, semble-t-il. L’entreprise qui fabrique des caramels au beurre salé au sel de Guérande et d’autres produits dans son atelier de Landévant, dans le Morbihan, glisse des mots ou des expressions du breton dans ses documents et dans sa communication. Elle se félicite que "certains clients répondent 'Kenavo' à [son] équipe en quittant le magasin d’usine ! Nous avons parfois des commentaires 100 % en breton sur les réseaux sociaux !" Dit comme ça, on comprend qu’elle ne s’exprime pas elle-même habituellement en breton. Sur les paquets de caramels, on découvre des mots de breton, et encore s’agit-il d’un calque parfait du français, c’est-à-dire une traduction littérale : "Fardañ artizanel" par exemple pour "Fabrication artisanale". N’aurait-il pas été plus heureux d’écrire "fardet gand eun artizan" ? Voir ci-après, en fin de message, les précisions reçues à ce sujet de Lisa Le Foll pour Carabreizh.

Pour toute marque, le choix d’une appellation est décisif. Pour un chef d’entreprise, choisir un nom à consonance bretonne c’est l’ancrer fortement dans un territoire, d’autant qu’on va le retrouver à l’infini sur le packaging. Mais on ne se positionne pas ici sur un usage fonctionnel de la langue, plutôt sur un effet d'affichage dans une démarche symbolique.

Treebal logo

L’appli qui pourrait séduire les bretonnants

Treebal, c’est une autre histoire. Sachez tout d’abord qu’on est là dans l’immatériel et qu’il s’agit d’une application de messagerie. Treebal est sans doute un jeu de mots à l’anglaise par rapport au français "tribal", et voici pourquoi.

Son argument choc face à une concurrence pléthorique est qu’elle se veut pleinement écoresponsable et préserver à la fois la planète et nos données. Son usage et ses fonctionnalités sont optimisés, nous dit-on, dans le but d’éliminer le non indispensable et de réduire au maximum l’impact environnemental : nos messages ne sont ainsi conservés que 7 jours. Ils sont chiffrés de bout en bout. Grâce à ses utilisateurs et à ses partenaires, Treebal contribue à plusieurs projets de reforestation à travers le monde. Tout message échangé dans l’appli vaut des points qui se transformeront en arbres à planter. Il suffisait d’y penser.

Treebal- 1

Soit, mais nulle part il n’est indiqué sur le site de Treebal que l’on peut choisir le breton comme langue d’usage de l’appli parmi sept autres langues de bien plus large diffusion. J'apprends que la version bretonne a été établie en externe avec le concours de l'Office public de la langue bretonne (précision mise à jour ce mardi 16 août) : comment donc faire autrement si on ne sait pas le breton ? C'est que les porteurs du projet Treebal ne le savent pas non plus, même si, selon mes informations, l’un de ses responsables en a une connaissance passive. Ceci explique sans doute le choix de valoriser la langue régionale dans cette appli, ce qui est une exclusivité. Il suffisait d’y penser (bis repetita)

J’ai téléchargé l’appli et je l’ai testée

Ceci étant, et alors qu’elle existe depuis 2021, je n’en ai appris l’existence que par le dossier de presse de Produit en Bretagne. Je l’ai donc téléchargée sur l’App store – elle est également disponible sur Google play - et testée. L’appli est fluide et s’apprivoise facilement. On a accès à ses contacts pour échanger avec qui l’on veut.

Seules les fonctions basiques sont traduites en breton : dès qu’on clique sur un bouton "savoir +", on bascule sur la version française de textes assez longs. Les formulations en breton font appel aux néologismes requis, mais on peut détecter ici aussi des calques du français. Il n’est pas d’usage de dire "Holl ma darempredoù" pour "Tous mes contacts" : habituellement, c’est "Ma holl darempredou".

À titre personnel, mais aussi sur le plan professionnel, l’appli paraît répondre à l’attente de nombre d’entreprises (et pas des moindres) et de particuliers qui l’ont adoptée. Comme elle est la seule à proposer une VB (version bretonne), bon nombre de bretonnants lettrés ou de brittophones avertis, également soucieux d’écologie, le feront aussi pour leur fonctionnement au quotidien. Ils ne seront peut-être pas des milliers, mais il y en aura.

Quelle relation entre le monde de l’économie et la langue bretonne ?

Elle est plus complexe qu’on ne le croit et sans doute pas aussi idyllique que le présente Produit en Bretagne sur son site et dans sa communication. La démarche volontariste du réseau est louable. Mais le pourcentage de locuteurs travaillant aujourd’hui en breton au sein d’une entreprise reste infime par rapport à celui des enseignants. La langue bretonne bénéficie d’un fort capital de sympathie dans à peu près tous les milieux sociaux. Mais les bretonnants savent bien qu’il n’est pas si facile d’intervenir en breton devant des chefs d’entreprise qui le plus souvent ne le connaissent pas.

LBL 19-1

Pour mieux appréhender cette question aux multiples implications, j’aimerais vous inviter à lire une étude que j’ai publiée il y a quelques années dans la revue La Bretagne linguistique, d’autant plus qu’elle est désormais accessible en open edition (c’est-à-dire en accès libre) sur internet. Cet article a pour titre :

Économie et langue bretonne : un rôle déterminant deux fois ?

Dans un premier temps, j’examine la manière dont l’économique a fortement influé sur le changement de langue qui a débuté en Basse-Bretagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Puis j’observe le nouveau discours qui, depuis le début du xxie siècle, valorise la relation entre langue et culture d’une part et économie d’autre part.

La langue bretonne elle-même est désormais présentée comme "une entreprise" de plusieurs centaines de salariés. Elle s’affiche parfois dans les supermarchés, sur les emballages et dans la publicité. Elle est créditée de modernité et d’authenticité. Pour vendre, le breton serait-il devenu un marqueur identitaire efficace ?

Ces initiatives lui donnent assurément une nouvelle visibilité. Mais quels sont les moyens utilisés ? Les publics visés ? Les effets escomptés ? L’économique peut-il jouer à nouveau un rôle déterminant pour ce qui est de la pratique du breton et contribuer cette fois à l’inversion du changement de langue ?

Pour télécharger et lire cet article en accès libre : cliquer sur ce lien.

Carabreizh nouveau

Carabreizh. Mise à jour du 14/08/2022 22 h 01

Suite au courriel que j’avais adressé à Carabreizh, Lisa Le Foll m’a fait parvenir les précisions suivantes le 11 août dernier, soit après la mise en ligne de ce message. Je les intègre ci-après dans cette mise à jour.

  • Nous n’avons pas de bretonnants dans l’équipe, notre objectif est de promouvoir la langue bretonne à notre humble niveau, de manière simple et ludique.
  • Depuis les débuts de la marque, nous avons intégré du breton directement sur nos étiquettes (composition des produits par exemple) ainsi qu’au sein de nos locaux (affichages au magasin d’usine, signalisation extérieure sur le parking) et de certaines de nos documentations en interne. Depuis cet été, nous avons aussi instauré le "vendredi breton" et nous apprenons donc un nouveau mot en breton chaque semaine à nos collaborateurs. Nous avons également travaillé sur de nouveaux sachets pour nos confiseries avec au dos des mots traduits en français et en breton. L’objectif était d’apporter davantage de visibilité à nos produits ainsi qu’à la langue bretonne, à travers un emballage visuellement attractif et ludique.

Lisa Le Foll

Commentaires
Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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