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Le blog "langue-bretonne.org"
6 février 2024

Quand l’ethnologue Jean Malaurie a rencontré la Bretagne de Pierre-Jakez Hélias

Jean Malaurie

C’est à l’âge de 101 ans qu’est décédé l’un des ethnologues les plus célèbres, lundi 5 février. Après la dernière Guerre mondiale, Jean Malaurie avait d’abord été étudiant à l’Institut de géographie de Paris. En 1948, il participe en tant que géographe physicien aux expéditions polaires françaises de Paul-Émile Victor au Groenland.

Il y retourne en 1950 et y dirige la première mission géographique et ethnographique française, y découvrant des fjords et des littoraux inconnus, auxquels il consacre sa thèse. Lui et l’Inuit Kutsikitsoq sont les deux premiers hommes à atteindre le pôle nord géomagnétique en mai 1951.

  • Photo ci-dessus : Jean Malaurie au Festival international de géographie en 1996. Photographe de la Ville de Saint-Dié-des-Vosges, dans le cadre de sa mission ; scan par Ji-Elle. Fichier sous licence Creative Commons Attribution. Origine : Wikipédia.
  • MaJ : 06/02/24, 20h43

Un plaidoyer contre la mondialisation et pour le pluralisme culturel

À Thulé, Jean Malaurie découvre une base militaire secrète que les Américains avaient construite sans consulter les populations locales et contre laquelle il prend aussitôt position. À compter de ce moment, Jean Malaurie devient le défenseur des droits des minorités de l’Arctique que menace l’exploitation pétrolière dans le Grand Nord. Il est profondément convaincu que la mondialisation et l’unification des cultures sont un grand malheur. Dans un documentaire de Michel Viotte pour Arte, il déclarera en 2009 :

  • « Je ne cesserai de plaider contre la mondialisation. Le pluralisme culturel est la condition du progrès de l’humanité. »

En 1955, il avait publié « Les derniers rois de Thulé » dans une nouvelle collection des éditions Plon qui prend le nom de « Terre humaine » et dont il devient le directeur. Et c’est ainsi que son itinéraire va croiser celui de l’écrivain breton et bretonnant Pierre-Jakez Hélias. Il en a raconté la genèse lors de son intervention lors du colloque organisé par le Centre de recherche bretonne et celtique en septembre 2000 au Pôle universitaire de Quimper qui porte son nom, cinq ans après sa disparition.

Un grand livre d’ethnologie vivante

Le déclic intervient un soir d’hiver de 1967 en suivant l’émission que le réalisateur André Voisin avait consacrée à l’écrivain bigouden. Il y voit Pierre-Jakez Hélias sur une plage bretonne : « sa manière de conter était admirable et à travers lui surgissait tout le merveilleux de la tradition celte, le mystère de Finistère qui nous est si proche et pourtant si lointain. »

Or, il souhaitait introduire dans la collection « Terre humaine » un ouvrage d’ethnologie française tout en évitant le piège du folklore et celui de l’étude universitaire déshumanisée. Il était, écrit-il, à la recherche de « l’ethnologue de sa propre personne » — belle formule. André Voisin lui transmet les coordonnées d’Hélias qu’il rencontre et qui « comprit d’emblée ce que j’attendais de lui : un grand livre d’ethnologie vivante. » Ce n’est qu’au printemps 1975 qu’Hélias lui remet son manuscrit.

Hélias : un événement social et historique

Encore fallait-il s’entendre sur un titre et convaincre le sévère PDG de Plon de l’époque, qui ne croyait pas beaucoup à « l’ethnologie bretonne ». Il fallut aussi attendre « le succès fulgurant du livre » et la troisième édition de l’ouvrage, qui s’était déjà écoulé à 300 000 exemplaires, pour que figure sur la couverture le visage d’Alain Le Goff, le grand-père de l’écrivain !

On s’est souvent demandé quel a été le tirage du Cheval d’orgueil. Jean Malaurie ne l’occulte pas : 500 000 exemplaires en moins d’un an, un million et demi au total. À Quimper, il déclare :

  • « ce n’est plus un best-seller mais un événement social, historique […] Les historiens un jour s’interrogeront sur le cas Hélias et sa contribution au réveil de la Bretagne et la régionalisation oxygénant ce vieux et noble pays, la grande Nation. »

Le plus grand livre sur la paysannerie française

En venant participer au colloque de Quimper, Malaurie voulait rendre

  • « un hommage ému et solennel à Pierre-Jakez Hélias, l’écrivain, le poète, l’ami, à ce sage quêteur et éveilleur de mémoire. Pierre-Jakez Hélias a écrit le plus grand livre sur la paysannerie française, Le Cheval d’orgueil. La France du patrimoine se distingue en un avant et un après Cheval d’orgueil. »

Je me permets de faire également écho ici à une anecdote personnelle. Lors de ce colloque, j’avais moi-même présenté un film de 13′ retraçant pour les émissions de FR3 Bretagne le parcours de Pierre-Jakez Hélias à partir d’archives. Jean Malaurie avait déclaré à l’issue de la projection que ce film était excellent. Je suis heureux qu'il l'ait dit en publlic et pour la mémoire d'Hélias.

Pour en savoir plus :

  • Jean Malaurie. Biographie et bibliographie dans Wikipedia : cliquer le lien
  • Jean Malaurie. Histoire de la naissance du Cheval d’orgueil et la révélation d’un écrivain. In Hélias et les siens. Helias hag e dud. Actes du colloque de Quimper, édités par Jean-Luc Le Cam. Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2001, collection Kreiz 15, p. 219-224.
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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