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Le blog "langue-bretonne.org"
7 mars 2023

« L’idéologie bretonne » : quand le sociologue André Rousseau parle d’authenticité et de nationalisme soft

André Rousseau bureau-1

Dans la seconde partie de son livre, André Rouseau développe à nouveau sa réflexion sous la forme d’une triade qui concerne cette fois la langue, l’économie et le territoire, la langue étant notamment perçue comme un « sanctuaire de l’identité ». En tête de chapitre, il met en exergue une citation de Gramsci, selon qui « Chaque fois qu’affleure, d’une manière ou d’une autre, la question de la langue, cela veut dire qu’est en train de s’imposer une série d’autres problèmes. » En foi de quoi, la question linguistique en Bretagne apparaît au sociologue comme « une volonté de réduire l’hégémonie du français — ce qui peut se comprendre - et sans doute de la France — ce qui, dit-il, mérite discussion. »

  • Ci-dessus : André Rousseau dans son bureau, à son domicile. Photo : FB, tout comme les autres photos illustrant ce post. 

Ce qui le surprend, c’est que « le récit breton d’hier et d’aujourd’hui est saturé d’hagiographie des promoteurs de la langue et de diabolisation de l’imposition du français, comparée parfois avec emphase, juge-t-il, à un ‘ethnocide culturel’. » Logiquement, André Rousseau cherche à comprendre comment la langue bretonne est devenue un enjeu politique, mais aussi pourquoi « plus encore que la danse et la musique, la langue est ce qui fait ‘être breton’ (sic). » 

La comparaison avec un autre univers étant, selon Durkeim, ce qui permet le mieux de comprendre un objet, « les ressorts de l’action en faveur de la langue bretonne ne sont pas sans analogie, assure-t-il, avec ce qu’a été, dans le catholicisme français, l’idée de mission [pour] reconquérir un terrain perdu. » Voilà qui ne devrait pas manquer de retenir l’attention des acteurs de la promotion du breton, mais aussi de ceux qui ne le sont pas.

Une stratégie de la tension, des griefs contre Paris…

Mais qu’est donc le « nationalisme soft » évoqué dans le sous-titre du livre d’André Rousseau ? Il faut attendre la page 187 de l’ouvrage pour en avoir une première approche. Il s’agit, écrit-il, d’une « stratégie de la tension » qu’entretiennent les tenants de ce nationalisme « latent et souvent manifeste » en Bretagne : les questions de langue, d’économie et de territoire sont en permanence. 

  • « des sources de griefs envers Paris, contre ‘les jacobins’ ou les élites bretonnes quand celles-ci semblent faire preuve de ‘mollesse’. »

Mais un nationalisme apaisé

Plus loin, dans la conclusion, le sociologue explicite son propos : l’exaltation de la culture et du passé, la fierté d’être « un peuple à part » coexistant avec la légitimité peu démentie de l’appartenance à la France, tous ces éléments, écrit-il, 

  • « justifient de parler de ‘nationalisme soft, ‘ou, si l’on veut, apaisé, ou instillant le charme d’une ‘différence » vaguement dissidente. […] 
  • Il est la forme ludique et culturelle d’exaltation de la Bretagne […] et équivaut à une fierté bretonne largement partagée. » 

Ce ne serait donc pas si grave, docteur, puisqu’on est en présence d’un phénomène « apaisé » ? Un peu tout de même, car il n’annihile pas l’hypothèse d’un nationalisme hard, qui, en l’état, reste confiné : « le nationalisme soft désigne un sentiment dont les contours souvent flous n’empêchent pas la force, et il coexiste avec une idéologie nationaliste numériquement marginale. » 

Bref, s’il y a un nationalisme soft, c’est qu’il y a aussi des nationalistes. Vous voulez savoir qui ? Je ne vous le dirai pas, cher lecteur. J’observe juste que personne n’a réagi pour encore à la parution du livre. Je le répète, il vaut la peine d’être lu : il y a là largement matière à réflexion et à débat. Auparavant, lisez quand même l’interview ci-après.

 

Brest-2012-13

Ci-dessus : Vieux gréements aux Fêtes maritimes de Brest en 2012 

L’interview d’André Rousseau sur son livre « L’idéologie bretonne »

Deuxième partie 

Fañch Broudic : Il serait bien que nous parlions du sous-titre de ce livre, à savoir « Entre authenticité et nationalisme soft ». Premier point : qu’est-ce que l’authenticité que vous avez détectée dans votre scanner ?

André Rousseau : J’ai hésité longtemps sur l’emploi du terme, le traduire sans le trahir. C’est lié à tout ce qu’on véhicule comme identité, comme culture. C’est fondé, c’est enraciné, c’est une tradition irréfutable et ce n’est pas du toc. On a à la fois une culture enracinée et populaire, mais on n’est pas loin de Barrès avec cette expression-là.

FB : L’authenticité est-elle un concept figé ?

AR ; Ça va me ramener à la question de l’identité. C’est curieux, l’emploi du mot identité, car au sens propre du terme, pour un philosophe, c’est l’équivalent de deux choses et la permanence d’une chose. Le bateau d’Enée répond à l’autre partie de la question : chez Homère, il est refait complètement, il n’y a plus une pièce de bois qui soit d’origine et c’est toujours le bateau d’Enée. Avec l’identité bretonne, il n’y a pas beaucoup qui est originel, et en même temps on parle d’identité bretonne comme d’une chose qui perdure. 

Expo celtique , - 1

Photo : Buste du barde à la lyre, exposition "Celtique ?", Musée de Bretagne, 2022.

Oui, il y a une base historique

FB : Ce serait donc une permanence ? 

AR : On parle de permanence et en même temps de mystère caché au cœur de quelqu’un. C’est à la fois l’ego du philosophe : je suis Breton, donc je suis, je ne suis pas n’importe qui, je suis différent, et en même temps je porte une culture qui persiste. C’est Jean-Michel Le Boulanger, ouvert à l’universel, ouvert à d’autres cultures. Il y a peu de pièces de cette culture qui soient vérifiables dans le temps jusqu’à une origine certaine. On arrive aux Celtes, l’imagination y a sa part, mais le fait de pouvoir parler des Celtes fait qu’on est différents, qu’on a une histoire…

FB : Il y a une base historique tout de même… 

AR : Oui, il y a une base historique et là je laisse les historiens se disputer, je ne trancherai pas leurs différends. Il y a une base historique, plus ou moins vérifiable parce qu’il n’y a pas ou peu de sources. Chez Olivier Mordrelle, dans « L’idée bretonne » il y a des pages sur le celtisme qui sont assez suffocantes, c’est un autre type d’homme, c’est quand même fort de café. Aucun anthropologue ne dirait les choses comme ça.

Par contre, qu’il y ait une autre vision du monde, c’est vrai. Selon Philippe Descola à propos des Indiens d’Amérique du Sud, pour eux, la différence entre l’animal et l’homme est ténue. Une propriété anthropologique, une propriété culturelle et une vision du monde différente : parler en ces termes-là de la culture bretonne, c’est aller un peu vite. Pour ce qui est de la thèse que l’on retrouve fréquemment selon laquelle la langue dit un génie particulier, les linguistes sont modérément sceptiques : l’hypothèse de Sapir-Whorf est maintenant controversée. Il n’est pas si sûr que cela que les langues expriment des génies propres. Elles ont des particularités pour parler de ceci ou de cela en breton, mais s’agit-il d’une vision du monde différente, c’est à débattre.

Un nationalisme qui s’exprime sur une base ludique

FB : Est-ce cela qui relève d’un nationalisme soft ? Car assez peu nombreux sont ceux qui se revendiquent comme étant des nationalistes bretons aujourd’hui, parfois dans certaines revues en langue bretonne. Vous saviez ça ?

AR : Oui, je l’ai bien bien repéré. Ils le disent en français quand même, Yvon Ollivier par exemple. Le nationalisme a eu un mauvais sort à cause de l’Occupation. Se dire nationaliste après la  guerre, c’était très compliqué. J’ai entendu mon beau-père breton, car j’ai épousé une Douarneniste, parler des Beiz Atao comme une insulte. On les a exilés ou ils se sont exilés, et ils sont rentrés relativement vite. Le nationalisme est devenu culturel au sens propre du terme, ou ils ont fait de l’entrisme dans des associations culturelles. Les bagadou n’existeraient pas sans un nationaliste célèbre qui les a créés et qui voyait dans ces groupes musicaux une école de militantisme breton. 

Les nationalistes sont donc restés discrets même si, dans le CELIB, Joseph Martray est un disciple de Yann Fouéré qui lui-même est un nationaliste pur sucre. Donc, ils vivaient sous cloche, incognito ou discrètement en animant quand même des réseaux, en étant présents dans l’univers culturel qui était légitime. Pourquoi je l’ai appelé soft ? Justement parce qu’ils se manifestent à travers la culture, mais sur un mode ludique. Allez dire à des participants au Festival interceltique ou à des spectateurs que c’est une manifestation politique de panceltisme, ils vont vous regarder avec de gros yeux.

Comment peut-on parler de la République comme si c’était un gros mot ?

FB : Ce qui voudrait dire que par rapport au nationalisme soft il y en aurait un autre qui serait dur ?

AR : Oui, et qui serait politique, on les reconnaît parfois. Les socialistes font beaucoup de choses pour la culture bretonne, mais ils se font en permanence vilipender par des nationalistes qui trouvent qu’on n’en fait pas du tout assez. Le comble est qu’ils les traitent de collabos de l’État central, comme ils l’appellent. Le vocabulaire des nationalistes aujourd’hui m’a d’emblée laissé bouche bée. Comment peut-on parler de l’État français quand on est Bretons ? Comment peut-on parler de la République comme si c’était un gros mot et comme si c’était synonyme d’un état centralisateur qui nous a oppressés, opprimés ? 

Il y a là une forme de doxa et c’est le propre de l’idéologie, ça structure une pensée, d’une façon riche ou pauvre, la question n’est pas là. Quand c’est très simple, ça marche d’autant plus et ça structure un groupe. Comme on parle de la République avec un grand R quasiment comme en parlait Maurras, on voit bien où est la frontière, on place une frontière symbolique. C’est devenu une évidence, c’est le propre d’une doxa, ramenée au mode exclamatif et laudatif.  

Manif Kemper-10

Manifestation pour la langue bretonne, passant devant la préfecture de Quimper, 27 avril 2021.

Si on ne comprend pas la langue de quelqu’un d’autre, il a une identité différente 

FB : Dans la doxa bretonne, vous semblez dire que la langue est le sanctuaire de l’identité…

AR : Oui, elle porte la différence. La première différence visible, c’est quand on ne comprend pas quelqu’un : il a une identité différente. Donc cultiver la langue, la répandre et la visibiliser partout dans l’espace de la région, c’est garantir qu’elle apparaisse comme une région bretonne. Ce n’est pas une région, parce que le mot est impropre pour eux. C’est un peuple et un pays, une nation bretonne. D’où l’importance du celtisme et de la signalétique en breton. L’ambition pas cachée est qu’elle devienne visible partout, elle n’apparaîtra plus minoritaire. Je plaisante un peu. Comme si les panneaux de signalétique étaient des actes de langage. Ça visibilise la langue, ça montre partout qu’on est ici un peuple et une nation différente.

FB : Vous évoquez une forme de remontada pour la langue bretonne. Les Bretons y croient-ils ? 

AR : Oui, l’exclamatif dont je parle et que je décris, c’est l’idée qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire en Bretagne dans les années 1970, c’est porté par tout le monde. L’indignation du président de la région devant des propos tenus dans le livre « La France en miettes », qui est un pamphlet contre les régionalistes, le montre bien.

gallo-CCB-1-

Manifestants pour le gallo, auto-baillonnés, lors d'une session du Conseil Culrturel de Bretagne, le 10 février 2012, lors de l'intervention de Lena Louarn, vice-Présidente du Conseil régional de Bretagne aux langues de Bretagne.

FB : Vous, vous posez la question du breton comme une langue à défendre. Mais la Bretagne a deux langues à défendre aujourd’hui…

Ce qui amène à des situations assez paradoxales. J’évoque dans la quatrième de couverture de mon livre – des incidents m’encourageaient à le faire - le paradoxe d’aller bretonniser des noms de lieux dans la région qui parle le gallo. Les Gallos en question ne sont pas unanimes à trouver ça très bien. Il existe une photo où l’on voit des militants gallos masquer la signalétique en breton comme les Bretons le faisaient sur des panneaux uniquement en français. Là, c’est un sparadrap.

À Plogoff, on ne chantait pas le Bro goz, mais Da feiz on tadou-koz !

FB : La langue est-elle réellement un enjeu politique ?

AR : Oui. J’ai lu un mémoire sur une association qui organise des formations fermées où on ne parle que breton pendant quinze jours, trois semaines. On y donne aussi des cours militants  sur l’histoire de la Bretagne : voyez comme la Bretagne est belle, ce qu’elle a fait d’exceptionnel, et les Français la méprisent. Les participants entendent ça d’un air plutôt distrait. Ils sont très heureux de parler breton parce que c’est un peu étrange, dépaysant. Ça les sort de la routine, ça crée une atmosphère. Mais le discours bretoniste et militant leur passe complètement au-dessus. Les militants croient à tout ça.

FB : La Bretagne, c’est un nom, une identité, une image, tout ça en même temps ?

AR : Oui. J’analyse ce qui s’est passé à Plogoff ou avec les Bonnets rouges : ce sont devenu des luttes bretonnes. Il y a quand même un moment extraordinaire à Plogoff. Un groupe de manifestants hostiles à la construction de la centrale nucléaire se trouve devant les CRS, qu’est-ce qu’ils entonnent ? Pas le « Bro goz ma zadou » [Le vieux pays de mes ancêtres, hymne breton], mais « Da feiz hon tadou-koz » [La foi de nos ancêtres, cantique catholique]. Ça, c’est familier et la jeunesse de 68 pouvait encore le chanter. Celle d’aujourd’hui aurait bien du mal…

FB : Quel est le rôle de la presse régionale sur ce terrain-là ?

AR : La presse régionale ne peut pas jouer cartes sur table dans ce domaine, et les socialistes non plus. On ne peut pas se mettre à dos les bretonistes. Quelqu’un que je connais bien à Rennes, à qui j’avais soumis le projet de livre, m’a dit : ah tu as mis là des instruments pour desserrer ce qui n’est pas l’emprise, pas le chantage non plus, quelque chose entre les deux, que les bretonistes font subir aux pouvoirs publics. On ne peut pas ne pas s’occuper de la langue et la culture bretonnes, c’est devenu une doxa, une évidence et un devoir.

FB : À propos du drapeau breton pourtant, le « gwenn-ha-du », vous assurez que « l’unanimisme logique des identitaires n’implique pas l’unanimité des habitants de la région. » Que voulez-vous dire par là ?

AR : On ne sait pas grand-chose de cette unanimité. Dans les urnes, où est-ce qu’il y a des autonomistes ? 8 %, 10 % dans les bons jours… Ça demeure un paradoxe pour les autonomistes eux-mêmes et pour toute la mouvance bretonne. Les associations, les nationalistes sont furibards. Ils s’en prennent aux politiques parce qu’ils ne développent pas le même sentiment revendicatif qu’eux vis-à-vis de la France. Encore une fois, je note cette expression du maire de Carhaix que vous avez interrogé [lire l’interview sur ce blog] à propos de ses fonctions au Conseil régional de Bretagne. Le vice-président aux langues de Bretagne veut discuter avec le gouvernement français, comme si c’était un gouvernement étranger. Je trouve ça extraordinaire et personne ne se retourne, ou pas grand monde.

André Rousseau bureau-2

À propos du programme des nationalistes et de leurs arguments

FB : Que voulez-dire en parlant de territoire-totem ?

AR : Je m’inspire d’une expression qu’un chercheur du CRBC emploie à propos de la langue, devenue une langue-totem. On l’exhibe, elle semble exister. Territoire-totem ? La revendication du retour de la Loire-Atlantique, je la comprends mille fois, historiquement ça a une logique imparable. On en fait un totem quand ça devient une question existentielle, alors que la coopération avec les territoires en question existe, que la culture bretonne s’y développe, pas moins qu’ailleurs, pas beaucoup plus non plus, moins que dans le Finistère probablement. Il y a un paradoxe à s’attacher au retour d’un territoire. Au moment de la réforme des régions par l’ancien président de la République, Jean-Yves Le Drian, ici en Bretagne, a pesté : je démissionnerai si on nous fusionne avec les  Pays de la Loire. Au même moment je lisais Jean-Michel Le Boulanger : la culture bretonne s’est mixée avec d’autres cultures, les musiques africaines, etc. Pourquoi tellement d’aisance à fusionner avec les musiques africaines et tant de mal à coexister avec des gens des Pays de la Loire ?

FB : La sociologie critique dont vous vous prévalez à l’égard des mouvements bretons ne va-t-elle pas finalement aboutir à leur fournir un chemin de dépassement de leurs contradictions ?

AR : Je ne crois pas que ce soit réalisable. À propos du programme des nationalistes et de leurs arguments, j’emploie un terme qui peut paraître vexant ou agressif : quelque part les idées politiques que je relève chez ceux que je nomme les bretonistes ou les nationalistes ont quelque chose comme un psittacisme, la langue des perroquets. On répète des formules, mais ça ne fait pas un projet politique. 

Je crois que ça fait la faiblesse du discours identitaire, tourné vers le maintien de l’identité et d’une culture. Ce n’est pas mettre en avant ce que les philosophes appelleraient l’ipséité. À la question de savoir qui je suis, je ne réponds pas « je suis un Breton », mais voilà ma vision de l’actualité, de l’avenir et les idées sociales et éthiques que j’assume. L’ipséité, c’est assumer.

FB : L’historien Sébastien Carney perçoit l’identité bretonne en quelque sorte comme une forme de technique de construction de soi, une manière parmi d’autres de se construire pour retrouver l’authenticité. Ça vous paraît juste ?

AR : J’adhère à 95 %. La nuance que j’introduirais, c’est que c’est un peu teinté d’actualité culturelle. La recherche d’authenticité et de développement personnel est partout. « Philosophie Magazine » est plein de réflexions de ce style. Dans un numéro spécial sur le sommeil, on passe par Freud, Lacan, les neurologues… pour savoir comment se guérir de l’insomnie, ce que je comprends. Mais l’ambiance de nos temps, c’est comment mon ego peut s’épanouir et franchir les obstacles que la vie lui pose ? Si c’est dans ce sens-là que Sébastien Carney entend développement et accès à l’authenticité, je redoute que le nationalisme soft se perde très vite dans la psychologie. 

Que serait la réflexion sereine que vous appelez de vos vœux ?

FB : N’y a-t-il pas de la croyance là-dedans ?

AR : Il y a une thèse qui court dans mon livre : le succès de la culture bretonne et de l’identité bretonne tient beaucoup à ce qu’elle remplace dans une société largement sécularisée et désenchantée : elle remplace le catholicisme. Je ne suis pas le premier à le dire. Un journaliste d’Ouest-France en parlait à propos des fest-noz et des festivals bretons, nombreux durant l’été : ça coïncide avec le moment des pardons. Le rapprochement me semble soutenable, avec prudence.

Festival livre Bretagne Guérande

FB : Que serait la réflexion sereine que vous appelez de vos vœux et qui pourrait conduire à une autre approche du vécu et du devenir de la Bretagne ?

AR : J’en vois une qui touche à ce que j’appelle "nationalisme soft', mais aussi à d’autres dimensions. Je comprends que l’idée de réunir la Loire-Atlantique aux quatre autres départements de la région administrative suscite de l’émotion pour des motifs variés. Mais les aspects symboliques prennent une importance telle qu’ils risquent de masquer non seulement des réalités actuelles, mais des enjeux d’avenir. Bien des échanges et des partenariats économiques se développent sans être entravés par les frontières administratives des départements et des régions. Et c’est pourquoi je parle de « territoire totem » à propos de l’obsession du Duché. 

L'idéologie bretonne

Ce n’est pas seulement sur ce périmètre que l’on attend les idées et l’engagement des Bretons et de leurs élus. L’argument de la taille qui serait celle de la région Bretagne avec la Loire-Atlantique me semble faible : la masse de la réalité économique sur laquelle les politiques ont tout compte fait assez peu de prise serait plus importante et par contre, les domaines qui relèvent de leur compétence croîtraient considérablement en volume et en complexité. On se gargarise de ce que l’on ambitionne de faire avec des régions celtes européennes. Très bien, mais on est encore là dans une logique identitaire dont on cherche les preuves dans les comportements électoraux. Le nationalisme soft c’est le plaisir de festoyer à Lorient, alors que dans l’isoloir, on considère ses intérêts objectifs. 

  • Lire : André Rousseau. L’idéologie bretonne. Entre authenticité et nationalisme soft. Paris, Presses universitaires de France, 2023, 385 p.
Commentaires
Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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