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Le blog "langue-bretonne.org"
20 mai 2020

Les atlas linguistiques : l’expérience irremplaçable de Jean Le Dû

Par Guylaine Brun-Trigaud

Jean Le Dû Atlas par F

La nouvelle de la disparition de Jean m’a fait l’effet d’une chute dans le vide… Puis une immense tristesse a fait place à l’incrédulité : Jean n’était plus là, il était parti sans dire “Salut !”, comme il le faisait à la fin de chacun de nos fréquents appels téléphoniques. C’était le point final de près de trente ans de travaux en commun et de complicité.

  • Photo ci-dessus : William Labov et Jean Le Dû lors d'un colloque à Lyon, en mars 2009. Photo F. Jejcic.

Premières rencontres

J’ai croisé Jean pour la première fois en mars 1987 à Paris, lors d’une intervention dans le cours de dialectologie des Hautes Études alors que je préparais ma thèse. 

En 1989, il devint directeur du GRECO (Groupe de Recherches Coordonnées) des Atlas linguistiques régionaux et il se retrouva à la tête d’une entreprise qui avait reçu l’injonction de prendre le virage de l’informatisation, et, il faut le dire, cela s’est avéré plus difficile que prévu. Deux chantiers étaient alors en cours :

  • la saisie des données pour la poursuite de la publication des atlas 
  • et la confection d’un index regroupant la totalité de leurs données lemmatisées. 

En 1993, dans un courrier adressé à l’ensemble des participants du GRECO et aux vacataires, dont je faisais partie à l’époque, il faisait le constat du "manque de bras" pour mener à bien ces deux missions : je lui proposais alors les miens. Aussitôt, il me confia la coordination sur les index et cela fut le début d’une collaboration qui s’avéra longue et fructueuse.

 

Atlas-linguistique-France

Ma découverte des cartes de François Falc'hun

Ainsi, lors d’un colloque à Brest en 1997, Jean me fit découvrir un trésor conservé précieusement au CRBC : 2 000 cartes manuscrites confectionnées par l’abbé Falc'hun à partir de l’Atlas linguistique de la France. C’était le début de l’aventure qui nous mena, avec Yves Le Berre, aux Lectures de l’Atlas linguistique de la France paru au CTHS (Comité des travaux historiques et scientifiques) en 2005, pour lequel j’ai réalisé plus de 800 cartes dans l’esprit initial de celles de Falc'hun.

Sa rencontre avec un certain William Labov

C’est d’ailleurs cet ouvrage que Jean a glissé à un certain William Labov alors que nous participions à un colloque à Lyon en 2009 (photo ci-dessus), ce qui lui valut d’être invité à Philadelphie au domicile de W. Labov, pendant l’un de ses séjours aux États-Unis. 

L’Atlas des Petites Antilles

À la même époque, Jean m’apprit qu’il avait saisi les données pour un atlas créole dont il avait dirigé les enquêtes et qu’il avait besoin de conseils pour faire les cartes… Évidemment, de fil en aiguille, je me suis retrouvée “embarquée” dans cette nouvelle aventure qui nous conduisit à la publication des deux volumes de l’Atlas linguistique des Petites Antilles (CTHS 2011 et 2013).

Jean Le Dû Atlas par Guylaine-1

Nos derniers travaux en commun

Nous avons écrit plusieurs contributions ensemble (une bonne quinzaine), et notamment la synthèse romane des dénominations de la pie, dans le cadre de l’Atlas linguistique roman, dont les membres s’associent tous à notre peine aujourd’hui.

Enfin, ces derniers temps, après m’avoir conseillé pour la rédaction de mon dernier livre sur Les parlers de la Creuse, il avait commencé la préparation d’un ouvrage sur le breton, fruit de ses réflexions sur un thème qui lui tenait tant à cœur et qui aurait été illustré de cartes synthétisées à partir de NALBB (Nouvel atlas linguistique de la Basse-Bretagne). Hélas, ce travail ne verra pas le jour.

Plus qu’un collègue, plus qu’un modèle (il n’aurait pas aimé le mot “maître”), je déplore la perte d’un ami très cher, toujours à l’écoute et soucieux des autres, toujours ouvert à une discussion sérieuse ou plus légère, et surtout plein d’une expérience irremplaçable. 

“Salut Jean !”

Guylaine Brun-Trigaud

  • Photo ci-dessus : Marie-Rose Simoni-Aurembou et Jean Le Dû, lors du  colloque ALiR (Atlas linguistique roman) à Ovada (Italie), 2006. Photo Guylaine Brun-Trigaud.

Qui sont-ils ?

  • Guylaine Brun-Trigaud, ingénieure au CNRS dans le laboratoire Bases, Corpus, Langage à l’Université de Nice-Côte d’Azur. Elle est dialectologue et collabore au Thesaurus occitan. Elle s’intéresse particulièrement au lexique et à la dialectométrie. Elle est également spécialiste des représentations cartographiques et co-auteur avec Jean Le Dû de plusieurs atlas linguistiques. 
  • Merci à elle de m’avoir proposé cet éclairage sur l’implication de longue haleine de Jean Le Dû pour l’avancement et la réalisation des projets d’atlas linguistiques en France, y compris l’outre-mer, et en Europe. Ainsi que de m'avoir transmis les photos de Jean Le Dû en compagnie de William Labov (un scoop !) et de Marie-Rose Simoni-Aurembou. FB.
  • William Labov (1927-) est Américain. Il est l’un des fondateurs de la sociolinguistique. Sa thèse, qu’il a soutenue en 1966, portait sur "The Social Stratification of English in New York City Department Stores". Il est l’un des spécialistes les plus réputés parmi les linguistes dans le monde.
  • François Falc'hun (1909-1991) a été professeur d’université à Rennes, puis à Brest. Pour sa thèse secondaire, il avait travaillé sur le système consonantique du breton et pour sa thèse principale sur l’histoire de la langue bretonne d’après la géographie linguistique (plusieurs fois rééditée, avec des mises à jour).
  • Marie-Rose Simoni-Aurembou (1936-2012) a été directrice de recherche au CNRS. Elle était une spécialiste de philologie romane et de dialectologie, membre important de l’Atlas Linguistique Roman.

Pour en savoir plus

  • Guylaine Brun-Trigaud, Yves Le Berre, Jean Le Dû. Lectures de l'Atlas linguistique de la France de Gilliéron et Edmont. Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2005, 363 p., 513 cartes.
Commentaires
S
Etrange comme le discours de Jean Le Du pouvait évoluer en fonction de son auditoire : en breton, sur les radios associatives, il se montrait bien plus militant qu'en français, en particulier dans les revues spécialisées ou dans la presse parisienne, où il pouvait se montrer particulièrement... clivant, c'est le moins que l'on puisse écrire. Chacun, selon sa sensibilité, en tirera les conclusions qu'il voudra. <br /> <br /> Pour ma part, il me semble que M. Le Du était habité par une ambivalence toute bretonne-bretonnante, dont le sociolinguiste qu'il fut devait très bien connaître les tenants et les aboutissants. Ne dit-on pas néanmoins que les cordonniers sont les plus mal chaussés ?<br /> <br /> En ce qui me concerne, je retiendrai surtout ses travaux incontournables sur la langue bretonne populaire, qu'il maîtrisait à la perfection. Cette dernière n'était pas, de son propre aveu, sa « langue de travail », et il émanait par conséquent de son discours quelques lacunes lexicales flagrantes lorsqu'il s'exprimait sur son métier dans l'idiome de son enfance. <br /> <br /> Veniel Peccatum, certes, mais démonstration éblouissante s'il en est que le brezhoneg ne peut faire l'économie d'évolutions, et se contenter d'un seul niveau d'expression, celui « diwar ar maez » d'avant la révolution agricole, état dans lequel d'aucuns souhaitent mordicus et, soyons clairs, par idéologie, la maintenir, sous le prétexte fallacieusement hypocrite de « l'authenticité », en désirant en réalité la voir mourir le plus promptement possible de sa « belle » mort, ha mat hag achu ! Distlabez ! Et d'enrôler sous leur traditrice bannière une pitoyable ribambelle de naïfs pourtant souvent de bonne foi, défenseurs acharnés d'un « brezhoneg popl » pourtant aujourd'hui « war e dalaroù », il suffit pour s'en rendre compte de simplement tendre l'oreille dans nos pauvres campagnes de l'an 2020... Et de l'opposer avec parfois la véhémence propre aux esprits complexés et manipulés, co-lo-ni-sés, à un « roazhoneg » tout aussi chimérique dès que l'on tenterait d'adapter ne serait-ce qu'aux marges la langue que nous ont transmise nos parents aux réalités du monde moderne, quant cette évolution devrait avant tout être perçue et vécue comme l'expression d'un simple continum temporel... naturel ! Une affaire de juste mesure et de bonne volonté, en somme... d'in-te-lli-gen-ce, à la condition sine qua non que tous les intervenants au débat avançassent démasqués, ce qui fut dès le départ et qui est, hélas encore aujourd'hui, loin d'être le cas... ou quand le petit peuple bretonnant, sa langue et sa culture, ou ce qu'il en reste, sont pris en otage ! Un druez, me lâr deoc'h ! Mais nous ne perdons point l'espoir et continuons de naviguer, fidèle au cap qui nous conduit au but que nous savons légitime ! La Vérité finira par triompher de la laideur, de la traîtrise et de la médiocrité ! Et si cela ne se fait pas, nous aurons au moins eu la satisfaction d'agir et de vivre en Bretons libres et conscients, fidèle à notre idéal : nous ne voulions pas mourir, ils ne nous ont pas tués ! Ni les uns, ni les autres... comprenne qui pourra : ni hasard, ni fatalité, la Providence guide nos pas, envers et contre tout, Avel reter hag all... ha dreist pep tra, ret en anzav ! Bevet Breizh, betek an trec'h... pe hor marv !
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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