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Le blog "langue-bretonne.org"
19 mars 2018

Comment peut-on être urticant ?

Relire_Fa_ch_Broudig_7seizh

Je reviens d'un voyage à l'étranger en famille. À mon retour, en faisant ma revue de presse, j'ai eu la surprise de découvrir sur 7seizh.info – vous savez, le site qui affiche sa bretonnité en présentant l'info de Clisson à Ouessant – un billet sur l'initiative que j'ai prise de mettre ma thèse en ligne et en accès libre sur internet (voir message précédent). Ce post signé de la rédaction la présente comme "une bonne idée" et comme une invitation à "lire et à relire les écrits de Fañch Broudig". Sympa.

L'auteur du post, qui a manifestement lu l'ouvrage paru aux PUR en 1995 sous le titre "La pratique du breton de l’Ancien Régime à nos jours", souligne que la mise en page se révèle "plus attrayante et plus aérée" que celle de la version papier. C'est effectivement la démarche que je tente.

Un monument de connaissances

Il estime par ailleurs que le contenu s'adresse "plutôt aux érudits et autres chercheurs" tout en ajoutant que "pour les autres comme nous, se plonger dans un tel monument de connaissances peut demander un peu d'effort" au risque – est-il écrit - de la mécompréhension. En se rangeant dans la nombreuse cohorte des "autres comme nous", il n'intègre certes pas les milieux de la recherche, mais s'il a lu la thèse dans sa version papier, c'est qu'elle n'est pas illisible et que bien d'autres doivent pouvoir le faire. L'intérêt d'une publication en ligne est aussi que chacun peut aisément orienter sa lecture en fonction de ses centres d'intérêt.

L'article de 7seizh.info fait également état d'une thèse "qui interroge" et des constats qui peuvent représenter "une source de réflexions" de même qu'"un sujet intéressant de discussion". Mais c'est, me semble-t-il, le propre d'une thèse, sinon à quoi bon passer des années à mener une recherche de longue haleine, à la rédiger, à la soutenir enfin, surtout s’il s'agit d'une question de société comme le devenir de la langue bretonne.

7seizh.info considère à cet égard que les constats que je produis et les analyses que je mets en avant dans la thèse ont un côté "un peu urticant". S'il est un adjectif auquel je ne m'attendais pas à propos de mes recherches, c'est bien celui-là. Il me plaît bien finalement. Je n'ai pourtant pas cherché à être urticant ! Si j'en suis venu à remettre en cause des assertions pas toujours bien étayées ou quelque dogme trop bien établi, ce n'est que par incidence, après avoir accumulé suffisamment de matériau pour ça.

La pénurie de chiffres

Il faut se remettre dans le contexte des années 1980. Les premiers travaux et les premières enquêtes de terrain décrivant la situation du breton paraissent à ce moment ou même un peu avant : ceux du sociologue Fañch Elegoet, de la Québécoise Madeleine Levesque ou de l'Allemande Mariane Renate Berger. Ils traitent de l'état des pratiques à ce moment-là, mais sans se référer aux époques antérieures. Un universitaire de renom assurait alors qu'on en était réduit sur ce sujet "à des conjectures, des évaluations qui, bien souvent, sont la projection, parfois non consciente, sur la réalité du choix culturel du descripteur." Il ne pensait pas si bien dire… Les pionniers de la sociolinguistique en France, tels que J.-B. Marcellesi, déploraient "la pénurie de chiffres" à laquelle ils étaient confrontés.  

On manquait donc pour le passé comme pour le présent de données fiables sur la pratique du breton. En entreprenant d'étudier l'évolution de cette pratique sur la longue durée, soit sur une période de deux siècles, je ne m'attendais pas à mener une recherche de si grande ampleur. Je conçois que l'ensemble des faits, des data, voire les analyses, que je produis dans cette thèse ne concordent pas avec diverses idées reçues (toujours persistantes, apparemment) en matière de langue bretonne. Elles ne concordent pas non plus forcément, et je le reconnais, avec celles que j'avais en tête en entamant ma recherche.

Idées reçues, idées revues

Mais, comme l'expose Le Monde des idées ce week-end à propos du cinquantenaire de mai 68, les idées reçues ont vocation à devenir des idées revues. Il a fallu des années après la publication de ma thèse pour que soient globalement pris en compte les éléments quantitatifs que j'avançais concernant cette évolution de la pratique sociale de la langue. Mais les étapes tout comme les modalités de cette transformation restent largement méconnues – à l'exception de celle concernant l'arrêt de la transmission intergénérationnelle de la langue aux lendemains de la dernière guerre.  

C'est aussi la raison pour laquelle j'ai entrepris de mettre ma thèse en ligne sur un nouveau site dédié : www.la-pratique-du-breton.org. Ce qui me surprend, c'est qu'elle puisse toujours, vingt-cinq ans après, être considérée comme urticante. En même temps, aucune recherche n'est indépassable, cela va de soi. D'ailleurs, à peine publiée, elle avait été contestée sur le plan épistémologique par exemple. Je regrette que des projets de recherche annoncés quelques années plus tard dans une nouvelle approche n'aient pas abouti. Mais je me félicite qu'en me situant au carrefour de la sociolinguistique et de l'histoire les éléments que j'ai pu mettre en évidence concernant le changement de langue ou la substitution en Basse-Bretagne soient généralement considérés comme des acquis. C'est tout.

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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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