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Le blog "langue-bretonne.org"
9 mai 2024

Treujenn-gaol ! La résurgence de la clarinette bretonne ?

Sonneurs de treujenn-gaol à Glomel. Photo : © Eric Legret.

Sonneurs de treujenn-gaol à Glomel. Photo : © Eric Legret.

Cela fait un certain temps qu’on n’entend plus beaucoup les sonneurs de treujenn-gaol, alors qu’existaient il y a plusieurs années les Rencontres internationales de la clarinette populaire. Vous avez deviné que la treujenn-gaol c’est la clarinette bretonne traditionnelle, littéralement « le tronc de chou ».

Et voilà qu’à l’initiative de Goulc’hen Malrieu et de quelques autres (voir plus bas) et avec le soutien des « Paotred an dreujenn-Gaol » — les sonneurs de clarinette en Bretagne ­— proposent une journée de retrouvailles des sonneurs et des amateurs de clarinettes le dimanche de la Pentecôte, soit le 19 mai à venir, comme un simple moment de partage musical autour de la clarinette.

Le statut social envié d’un sonneur

Cette initiative a aussitôt fait réagir le Châteauneuvien d’origine Yann Le Meur, lui-même sonneur et ayant formé avec Michel Toutous un duo (bombarde et biniou) d’exception. Ce qui l’a conduit à écrire un roman intitulé « Sonneur » (paru aux aux éditions Coop Breizh et toujours disponible pour la modique somme de 10 €), dans lequel il raconte sur le mode sensible le vécu et les aventures picaresques d’un jeune musicien ayant acquis le statut social dans lequel il se reconnaît toujours : sonneur !

Alors qu’il ne manque pas désormais de joueuses de treujenn-gaol, Yann Le Meur pose sur un ton décalé un diagnostic dans l’air du temps : celui du genre. Était-ce à lui de le faire ou aux joueuses elles-mêmes ? D’où vient le questionnement ? Le fait est que le collectif des clarinettistes bretons s’appelle « Paotred an dreujenn-gaol ». Il en fournit lui-même la traduction dans le texte ci-dessous qu’il a bien voulu me transmettre, ce dont je le remercie.

Yann Le Meur (à gauche) et son compère Michel Toutous. Photo : DR

Sonneurs de treujenn-gaol : oubliez votre identité par trop genrée ! La tribune de Yann Le Meur

La confrérie des « Gars de la clarinette traditionnelle » va-t-elle changer de nom ? Les honorables membres des « Paotred an dreujenn-gaol » (1), ces remarquables musiciens aussi rustiques que l’instrument dont ils se servent, en sont venus à se prendre le chou. Dans l’air du temps, un peu philistins, donc, mais également un tantinet tartuffes, les vénérables garçons se désolent de la masculinité « tragique » de leur confrérie. Le temps de reprendre leur souffle, leur suite de dañs plinn achevée, ils se sont accordés pour lancer un appel déchirant, comme on dit maintenant, à « rectifier le tir ». Fort bien, les gars !

Mais n’oubliez-vous pas un détail : votre nom, né d’une volonté d’exclusive masculinité de votre virile assemblée ? Si vous voulez attirer les filles — les joueuses de clarinettes ne manquent pas — oubliez votre identité par trop genrée. Sinon vous entendrez, histoire de souligner votre fourberie, chanter dans les campagnes :

  • A ! n’eo ket brao A ! n’eo ket brao paotred, c’hoari ‘mod-se, c’hoari ‘mod-se
  • A ! n’eo ket brao ha n’eo ket brao paotred, c’hoari ‘mod-se, gant ar merc’hed.
  • Ah ! ce n’est pas bien, ce n’est pas bien, les gars, de se foutre, de se foutre
  • Ah ! ce n’est pas bien, ce n’est pas bien, les gars, de se foutre ainsi des filles.

Messieurs, si cela vous chante, substituez « tud » (gens, êtres) à « paotred » (gars) (2). Allons pour « Tud o zreujenn-gaol (3, voir plus loin) ?

  • Ceci est plus conforme au temps qui vient
  • Même si, je vous l’accorde, ça sonne moins bien !

Yann Le Meur Rennes, mai 2024

Les trois notes (sic) de la contribution de Yann Le Meur

(1) Les gars du tronc de chou, appellation bretonne de la clarinette traditionnelle.

(2) En breton le terme « homme » ne s’applique qu’à la gent masculine et se dit « gwaz ». L’homme au sens général (homme + femme) ne se dit pas en breton qui dispose pour ce faire du terme « den » (l’être, la personne, mais aussi le mari), avec son pluriel : « tud ».

(3) Il se peut qu’en pays plinn et fisel soit, pour l’article possessif, utilisée la mutation épiphénoménale T/D et non T/Z. Pour ceux/celles qui ne connaissent pas cette particularité, ils/elles comprennent à tort qu’est généralisée la mutation possessive standard du masculin (e dreujenn) à l’ensemble homme/femme (o dreujenn). Alors que, en breton standard, on généralise en fait la mutation possessive du féminin (he zreujenn) à l’ensemble (o zreujenn). On opte pour celle-ci ?

Ou alors « Sonerien » ? Mais c’est genré : masculin. Au féminin (et pluriel) c’est sonerezed. Mais ce mot n’est pas connu en breton ; il n’y pas de féminin pour sonneur en breton ! Aïe ! Peuple d’arriérés, ces Bretons.

Réflexions complémentaires

Yann Le Meur s’exprime toujours dans les deux paragraphes qui suivent.

Peut-on résoudre le problème avec « Re an dreujenn-gaol » [Ceux de la clarinette]. Il existe déjà « Re an Are » [Ceux des monts d’Arrée] avec feu Georges Cadoudal & consorts. C’est du bon breton. « Tud o zreujenn-gaol », c’est du très bon breton, parlé comme de juste. Mais on bute circonstanciellement sur la question de la variante mutationnelle de la haute Cornouaille orientale (dont Poullaouen).

Si l’asso concerne des gens de toute la Bretagne, pas de problème. Sinon, circonspection. Mais je crois pouvoir dire, de par mon expérience du breton parlé, qu’à Poullaouen on comprend et admet la mutation standard. En tous cas, c’est un super sujet, je trouve. Quel dommage que Yann Fañch Kemener ne soit plus là pour en parler. Cela l’aurait ravi.

De simples suggestions

D’abord, donnons aux clarinettistes femmes la possibilité de s’exprimer !

Perso, et pour prendre ma petite part au débat, je me hasarde à deux suggestions pour surmonter la question du genre. Deux appellations me paraissent aisément envisageables :

  • Pourquoi pas : « Paotred ha merhed an dreujenn-gaol » [les gars et les filles de la clarinette) ? Ou, bien évidemment : Merhed ha paotred an dreujenn-gaol. C’est un peu longuet, mais ça se dit bien et ça dit bien ce que ça veut dire. Et on n’oublie personne.
  • Ou alors, tout simplement « Treujenn-gaol ! » comme dans le titre de ce post et comme pour souligner un fait remarquable.

Cependant, n’oublions pas les retrouvailles des sonneurs et des amateurs de clarinette

Ces retrouvailles sont proposées par un collectif composé de Goulc’hen Malrieu, Olivier Urvoy, Constant Le Barh, Dominique Jouve, Mickaël Derrien et avec le soutien de l’association « Paotred an Dreujenn-Gaol ». Voici leur invitation :

Orphelins des Rencontres internationales de la Clarinette populaire depuis plusieurs années, les « Paotred an Dreujenn-Gaol » (sonneurs de clarinette en Bretagne) proposent une journée de retrouvailles des sonneurs et des amateurs de clarinettes, simple moment de partage musical autour de la clarinette. Cette journée est ouverte à tous, professionnels, débutants, initiés, mais aussi auditeurs, danseurs, sympathisants, anciens bénévoles… Avec au programme :

  • un bœuf,
  • une parade musicale vers le lac
  • une fois sur place, un moment à la fois de convivialité et de restauration autour d’un pique-nique (à apporter) ou d’un barbecue (à organiser par vous-mêmes), mais aussi un moment de réflexion et d’échange autour des suites potentielles à donner à ce 1er regroupement.
  • Cela va de soi : cette journée de retrouvailles pourrait être également le moment idéal pour échanger sur une nouvelle appellation de la structure qui pourrait rassembler tout le petit monde de la dreujenn-gaol. Les considérations ci-dessus auraient déjà pour mérite d’alimenter moult discussions entre sonneurs linguistes et locuteurs émérites…

Programme de la journée

Dimanche 19 Mai 2024 au bar « Le Korong » en Glomel

  • 11 h : rendez-vous au bar « Le Korong » : bœuf-apéro
  • 12 h 30 : photo de classe et parade musicale jusqu’au lac
  • 13 h : pique-nique, bœuf et échanges…

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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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