Cancer du sein : un film-événement de Goulwena an Henaff
Le documentaire s’intitule "Dañsal dindan ar glao" [Danser sous la pluie]. La première séquence fait contraste avec le titre, car la femme qui s’exprime en voix off se trouve certes sous la pluie. Mais elle apparaît dans un paysage hivernal, figée sous son parapluie rose, et ce n’est qu’au bout d’un plan de quarante secondes qu’on découvre son sourire en gros plan.
Photo ci-dessus : capture d'écran FB.
Elle raconte en quelques mots que le médecin vient de lui annoncer une mauvaise nouvelle. Elle n’avait jamais imaginé que ça lui arriverait si jeune. Elle pense à la mort, si tôt, injuste. Elle se sent perdue, reconnaît qu’elle a souffert, lutté, et qu’elle le fait toujours. "Aujourd’hui, dit-elle, je ne suis plus la même femme".
Apprendre en quelques mots que l'on a le cancer du sein
Cette femme, c’est Hélène, la quarantaine. Elle vit dans une petite commune maritime dans le nord du Finistère, elle est professeure des écoles en classe bilingue, mariée, quatre enfants. Elle mène une vie active, chante en tant que soliste dans une chorale, joue de la harpe dans un trio de copines. Elle et son mari ont le projet de construire une nouvelle résidence.
Elle se sentait un peu fatiguée depuis quelque temps, quand elle se décide à consulter. Sa vie bascule quand elle apprend qu’elle a le cancer du sein. Elle rejoint la cohorte de toutes celles qui ont vécu, vivent ou vivront cette épreuve : c’est le cas précis d’une femme sur huit.
Le film de Goulwena an Henaff raconte son histoire à partir de cette découverte. Hélène est la seule protagoniste du film, aucune interférence de la parole de quelque expert que ce soit. Elle avait tenu son journal de maladie, ce qui lui permet de restituer son ressenti avec minutie, tout en s’exprimant avec spontanéité et sincérité. Après un temps d’introspection, elle s’est sentie responsable de sa propre maladie. Mais, admet-elle, "il faut prendre la vie comme elle vient, au risque de se noyer, trop de pensées, de souffrance, d’angoisse… De toute façon, une fois dans le train, il faut aller à destination, on n’a pas le choix."
Photo © Youenn Chapalain.
Se retrouver dans un désert
Quand, après son opération, on lui refaisait ses pansements, elle était entourée de trois infirmières, dont l’une lui tenait et lui caressait la main, "très doucement, très doucement", lui parlant d’autre chose, de ses enfants… À eux, elle s’est demandé comment leur parler de sa maladie et du risque fatal qu’elle induit, alors que le plus jeune n’avait que trois ans et l’aîné seize, sans disposer à ce moment de beaucoup de livres pour l’aider. Hélène n’occulte pas les difficultés qu’elle et son mari ont également rencontrées dans leur vie de couple : "une femme malade à la maison, c’est compliqué pour tout le monde."
Elle, croyante depuis l’enfance, a connu une véritable crise de foi, avant de s’en remettre. Alors qu’elle s’attendait à ce que la religion lui soit un recours dans la détresse, c’est tout l’inverse qui s’est produit. Elle avait l’impression de se retrouver dans un désert, ne pouvant plus prier, indifférente aux textos et messages de ses amies qui lui assuraient le faire pour elle, ne s’expliquant pas pourquoi la foi ne lui servait plus à rien au milieu de la tempête.
"Mon corps n’est plus le même"
Hélène, par contre, n’a jamais renoncé à être femme. Son corps, explique-t-elle, n’était plus le même. Mais elle n’a pas voulu attendre la fin de la maladie pour le bichonner. Les magasins de lingerie orthopédique l’ont rebutée, jusqu’à ce qu’elle découvre ce qu’elle recherchait de plus chatoyant et cependant adapté dans un magasin ordinaire. Des séances de maquillage ont fait du bien à son moral. Elle n’a pas voulu faire de sport comme on le lui préconisait : elle a choisi de découvrir la danse sur le tard, de belles séquences de répétition en témoignent.
- "Bevañ a zo deskiñ dañsal dindan ar glav."
- Vivre, c’est en quelque sorte apprendre à danser sous la pluie.
La salle au cinéma Le Bretagne, à Saint-Renan, pour l'avant-première du film. Photo : FB.
Le dire avec tact et sans pathos
Elle a petit à petit repris ses activités, assurant plus aisément son rôle de mère de famille. Elle a pu suivre l’installation de toute la famille dans son nouveau logement. Elle a retrouvé avec brio sa place de soliste au sein de l’Ensemble choral du bout du monde. En reprenant à mi-temps son travail d’institutrice bilingue, elle a eu le bonheur de retrouver ses élèves et ses collègues.
Hélène est une personnalité, elle le montre dans le film, c’est une femme dynamique, résolue. Elle ne se laisse pas aller. Elle s’exprime aisément et je dirais même chaleureusement, n’élude aucun sujet, mais en traite avec tact. Elle ne dit pas tout, et dit tout en même temps. C’est ce qui a beaucoup ému tous ceux qui ont assisté à l’avant-première au cinéma Le Bretagne à Saint-Renan, vendredi 1er octobre. L’illustration musicale, qui fait appel à Yann Tiersen et à Loreena McKennitt comme au piano de Romain Dubois, y contribue aussi forcément.
Nombre de films, des documentaires comme de la fiction, ont déjà été tournés en français ou en d’autres langues sur le cancer du sein : le site des Éclaireuses en recense dix, incroyables et qui brisent ce tabou, qu’il faut voir absolument en ce mois d’Octobre rose et que l’on peut visionner sur YouTube.
Je ne sais pas si "Dañsal dindan ar glav" figurera un jour sur une telle liste. Mais s’il constitue, me semble-t-il, un événement, c’est aussi parce qu’il a été tourné en breton, sous-titré en français. Son intérêt est qu’il aborde sans pathos les questions simples et complexes auxquelles est confrontée toute femme à qui l’on annonce un jour en quelques mots qu’elle a un cancer du sein. Dans la liste des Éclaireuses ci-dessus, on vous invite à prendre des boîtes de Kleenex pour regarder certains films. Faites-le aussi pour regarder "Dañsal dindan ar glao". C’est vraiment une belle rencontre entre deux femmes.
Photo : Hélène Abalain (à gauche) et Goulwena an Henaff. © Youenn Chapalain.
Multidiffusion à venir sur France 3 Bretagne
Car il s’agit de la première réalisation de Goulwena an Henaff, que j’avais recrutée en 1998 (le temps passe…) pour assurer, en alternance avec… Hélène Abalain, la présentation des programmes en breton, ce qu’elle fait toujours aujourd’hui, si vous suivez le Bali Breizh du dimanche. Et c’est d’emblée son premier 52', réussi. Pour le tournage, elle a bénéficié du concours de son compagnon, Youenn Chapalain, bretonnant comme elle, ce qui a généré de la compliicté entre les uns et les autres. Tous trois avaient préalablement contribué à l’écriture du film. Le montage a été assuré par Gaëlle Villeneuve.
Signe que Laurent Le Mouillour, directeur par intérim de France Bretagne, et Maël Le Guennec, responsable des émissions en langue bretonne, croient en l’intérêt de ce film, c’est qu’ils ont décidé de le produire en interne, ce qui n’est plus si courant. Il sera diffusé à l’occasion d’Octobre rose,
- non seulement dans Bali Breizh, le programme dominical en breton, dimanche prochain, 10 octobre, à 10h10 (attention, horaire avancé !)
- mais aussi dans la case documentaire du lundi soir à l’horaire tardif que l’on connaît, soit 23 h 5
- et une nouvelle fois dans le programme régional de 9 h 50, le lundi 25 octobre.
Octobre rose, pour ceux qui l’ignoreraient, est un mois de sensibilisation au cancer du sein dans lequel sont impliquées de multiples structures (à retrouver aisément sur internet), et aussi de collecte de fonds.
À lire concernant Octobre rose sur ce blog : La Bigoudène aux seins nus brandissant le gwenn-ha-roz
Photo d'archives de Channig ar Gall. © Diellou Charlez ha Channig ar Gall.
Post-scriptum : à la mémoire de Channig ar Gall
À l’occasion de la diffusion du film de Goulwena an Henaff, j’aimerais ajouter quelques mots, qui ont trait à l’histoire des émissions en breton dans l’audiovisuel public. Certains d’entre vous ont sans doute entendu parler de Charlez ar Gall : il a présenté les émissions en langue bretonne à la radio de 1959 à 1976, et à la télévision régionale de 1964 à 1975. Sa femme, Channig, avait appris le breton pour pouvoir le seconder. Elle présente elle-même l’émission quotidienne en breton depuis le studio de Brest, ouvert en 1964, jusqu'en 1969.
Elle doit s’interrompre cette année-là pour raisons de santé. Elle avait en effet été opérée d’un cancer du sein et s’en est remise. Elle a repris ensuite de nombreuses activités, devenant artiste et comédienne, ainsi qu’à partir de 1971 la speakerine du premier magazine en breton sur FR3, Breiz o veva. Elle a ainsi pris sa part à l’histoire des médias en langue bretonne.
Chanig ar Gall a aussi témoigné de son vécu et de sa rémission dans le cadre de multiples réunions organisées par la Ligne nationale contre le cancer avec le concours des médecins du CHU de Brest pour dire et redire déjà aux femmes qu’elles ont la possibilité de guérir du cancer du sein. Elle en a été la preuve vivante pendant quarante ans, tout en se battant contre l’inéluctabilité de la maladie. Elle est décédée à Brest en 2012 à l’âge de 90 ans.
Pour info : un débat sur les médias en breton
Il aura lieu jeudi 7 octobre, à 20 heures, à la Faculté des Lettres Victor Segalen, à Brest en prélude au festival Deus'ta organisé par Diwan et Div Yezh et qui se déroulera le dernier week-end d’octobre aux Capucins. Privilège de l’âge ? J’interviendrai au début de ce débat pour présenter une rétrospective des médias en langue bretonne, avant que ne débattent des acteurs de différents médias actuels en breton.