Les anciens de Diwan : un nouveau film
Les écoles Diwan, c'est une utopie. C'est Alan qui le dit dans le nouveau film (le 3e en une quinzaine d'années) que la réalisatrice Soazig Daniellou consacre aux premiers bacheliers ayant suivi toute leur scolarité dans les écoles immersives en langue bretonne. Elle les avait déjà filmés l'année du bac, et "O seizh posubl" (c'est le titre du nouveau 52', ce qui veut dire : Tous leurs possibles) s'ouvre d'ailleurs sur l'affichage à l'époque des résultats du bac.
Le film est construit autour du témoignage d''une moitié de ces 12 premiers bacheliers de Diwan qui approchent maintenant de la trentaine, travaillent, vivent en couple, ont parfois des enfants. L'argument : que représente pour eux la langue bretonne, une dizaine d'années après la fin de leurs études secondaires, et qu'en ont-ils fait ?
Ils ont tous poursuivi des études. Quelques-uns ont passé une licence de breton. Mais il est d'autres qui ont voulu s'échapper d'un milieu qu'ils jugeaient étouffant, trop restreint, presque sectaire (le mot est dit), avec des attentes parfois trop pesantes dans leur environnement, pour découvrir un autre monde, une autre dimension de la littérature, et qui sont allés étudier à Toulouse ou à la Sorbonne, avant de revenir en Bretagne au bout de quelque temps. Aujourd'hui, il y en a qui sont en biologie ou en droit. D'autres sont bibliothécaire ou journaliste. L'un enseigne le français au lycée Diwan. Un seul, semble-t-il, s'est orienté vers un métier manuel : chocolatier. "Heureusement qu'on n'est pas tous devenus enseignants à Diwan, dit l'une, ça aurait été horrible !"
Le chocolatier n'hésite pas à faire état de sa scolarisation dans le cadre de Diwan sur son CV : cela crée, dit-il, de l'empathie lors des entretiens d'embauche. Celui qui a opté pour le journalisme TV reconnaît avoir eu l'opportunité de le faire parce qu'il connaissait le breton (j'en connais quelques autres dans le même cas…) et que sa capacité à communiquer en breton lui facilite parfois la prise de contact lors de reportages. Mais pour la plupart, le breton n'est pas actuellement la langue dans laquelle ils exercent leur activité professionnelle.
Est-il la langue de leur foyer ? Pour ceux qui ont une compagne ou un compagnon, ce ne semble pas être le cas. Faire admettre par leur "conjoint" une si forte proximité avec le breton a parfois été ardu. Deux, si je me souviens bien, ne parlent que le breton à leur enfant, une troisième le fait occasionnellement.
Que leur reste-t-il alors du breton ? De toute évidence, une réelle capacité à s'exprimer et à parler de leur moi et du monde en cette langue (même si elle reste assez souvent perfectible en qualité d'expression). Je ne sais pas pour combien d'entre eux le breton n'est pas la langue première. Il a été en tout cas, pour la première fois dans l'histoire, celle de toute la scolarité primaire et secondaire de ces adultes d'aujourd'hui, et si c'est l'école qui leur a ainsi appris le breton, le résultat est là. Ceci étant, ils reconnaissent avoir dû faire délibérément le choix, à un moment donné de leur vie de lycéens, de ne plus échanger entre eux en français : à quoi leur servait-il de poursuivre leur scolarité en breton, si le français était la langue de leurs échanges ? Avoir été un si petit groupe au lycée génère forcément des connivences. Ça crée des liens qui perdurent, puisque les anciens de Diwan ont constitué une amicale du nom de "Diwanet" : sur-jeu de mot signifiant à la fois ceux qui sont passés par Diwan - un mot qui lui-même veut dire germe ou naissance - et ceux qui sont donc "nés" de Diwan.
Une success-story à la bretonne ?
Il est certain qu'ils ont complètement intégré le breton en eux-mêmes. Ils le disent à de multiples reprises : pouvoir s'exprimer en breton, pour eux, c'est la normalité, c'est "naturel". Quel est leur problème, finalement ? Qu'on ne parle pas le breton un peu partout. Le film n'aborde pas vraiment ce questionnement, pourtant fondamental. L'école, ou plus exactement une école, peut-elle transformer la société ? Si l'usage du breton est aujourd'hui ce qu'il est, c'est la résultante d'une longue histoire. Autrement dit : Diwan peut-il "sauver" la langue bretonne dans le contexte actuel ? Et pour combien de locuteurs ? S'exprime une certaine forme de lucidité : "si on ne parle pas breton, qui le fera ?". On en revient à l'utopie initiale.
Il ne s'en dégage pas moins du film une réelle sérénité. La "normalité" est telle que le regard des autres a changé du tout au tout à l'égard de ceux qui étaient perçus il y a encore une décennie comme hors-norme : les grands-parents de ces anciens de Diwan eux-mêmes ne sont plus réservés comme ils l'étaient. De ce point de vue, le film conte la "success-story" des Diwan qui ont réussi. Mais, sans parler de ceux qui n'ont pas poursuivi au moment d'entrer en sixième ou en seconde, que sont tous les autres devenus ? Les premiers bacheliers issus de Diwan ont toujours été les premiers : les premiers à entrer dans un collège bretonnant, les premiers à entrer dans un lycée bretonnant, les premiers Diwan à passer leur bac… Tant de singularité intrigue nécessairement : les 200 actuels lycéens de Kerampuill qui assistaient mercredi à l'avant-première de Carhaix ne sont plus aussi souvent filmés.
Leurs prédécesseurs eux-mêmes témoignent désormais d'une certaine distanciation. Quand ils étaient collégiens ou lycéens, ils ont participé à pas mal de manifs. Quand ils ont été reçu au bac, un ancien président de Diwan tentait de les motiver pour la vie. Et pourtant, l'une de ces premiers lycéens de Diwan avoue un mal-être - une sorte de honte, dit-elle - à s'exprimer en breton quelquefois. Etrange, non ?
On aurait aimé en savoir ne serait-ce qu'un tout petit plus sur ce qui intéresse ces anciens de Diwan en dehors de leur relation au breton. Ce film est, cela va de soi, le reflet des choix de Soazig Daniellou (qui se félicite d'ailleurs d'avoir pu l'élaborer avec une équipe de techniciens tous bretonnants : c'est une première). Pour être un peu lisse, il a l'humanité d'itinéraires individuels et singuliers.
"O seizh posubl" (en version bretonne sous-titrée en français) : réalisation : S. Daniellou, une co-production Kalanna / France 3 Ouest.
Diffusion en deux épisodes : les dimanches 30 novembre et 7 décembre, à 11H30, dans le cadre de l'émission "Red an amzer" sur France 3 Ouest. Puis sur internet pendant un mois sur le site de France 3 Ouest : http://ouest.france3.fr/