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Le blog "langue-bretonne.org"
12 avril 2021

Langues régionales : l’interview très politique de Paul Molac après le vote de la loi

Molac Paul-1

Je l’ai déjà écrit : l’adoption de la loi Molac à une très large majorité à l’Assemblée nationale le 9 avril fera date. Elle ne prétendait pourtant pas à définir le périmètre d’un statut de principe pour les langues de France, ce sur quoi ont peut-être plus ou moins toujours buté les propositions de loi antérieures. Non, elle ne visait qu’à régler des problèmes pratiques, pas forcément conjoncturels, des complications relativement mineures quand on y pense. Mais elles représentent des enjeux importants pour ceux qui subissent de ce fait des désagréments récurrents qu’il paraissait impossible de surmonter et que personne ne voulait ou ne savait vraiment comment les résoudre. Il y avait toujours une objection.

La proposition de loi Molac et de ses dix-huit cosignataires avait tout l’air d’une bien modeste entreprise. La preuve : en première lecture, à l’Assemblée nationale il y a un an, seules quelques dizaines de députés s’étaient déplacés, pas tous unanimes, loin de là, pour valider les mesures que prévoyait la proposition de loi. Tant et si bien que plusieurs articles avaient été rejetés. Il faut dire que Jean-Michel Blanquer y avait mis du sien. C’est bien à son instigation que les mesures concernant l’enseignement avaient été notamment écartées.

Les niets à répétition de Jean-Michel Blanquer

C’est là que le tout-puissant ministre de l’Éducation nationale s’est lourdement trompé. Car ses niets à répétition ont été ressentis comme une injustice. Les sénateurs déjà, alertés par les associations de défense des langues de France, lui ont infligé un premier camouflet, en réintroduisant dans la proposition de loi les articles dont il ne voulait pas entendre parler.

C’est à ce moment-là que les parents d’élèves, les enseignants, les militants en tout genre, tout le monde associatif gravitant autour de la question des langues régionales ont compris qu’il y avait un coup à jouer, y compris les défenseurs de langues dont on ne parle presque jamais d’habitude. Il y a eu un déclic. Et ce coup-là, Blanquer ne l’a pas vu venir. Il a campé sur ses positions, alors que plus de trois cents députés siégeaient au Palais-Bourbon. En première lecture, les députés de la majorité lui donnaient presque toujours raison. En seconde lecture, c’est l’inverse qui s’est passé : sa majorité l’a lâché, il a été mis en minorité lors de chacun des votes et en particulier sur le vote final de la loi. 

Cette journée du 9 avril au Parlement avait été précédée d’une importante manifestation rassemblant de 4 à 5 000 personnes le 13 mars à Quimper "pour que vivent nos langues." On a peut-être aussi assisté ce printemps à la naissance d’un lobby qui ne se contente plus de manifester ou de pétitionner en faveur des langues de France, mais qui a peut-être appris comment mieux s'organiser et se faire entendre des décideursi.

C’est la raison pour laquelle j’ai voulu interviewer Paul Molac sur son ressenti après le vote de la loi qui porte désormais son nom. C’est une interview très politique, forcément. Elle a eu lieu par téléphone et en breton samedi 10 avril en fin de journée. Le texte breton de l’interview sera également publié sur ce blog. J’en présente ci-après la version française. J’ai tout d’abord demandé au député du Morbihan si le vote de cette loi représente pour lui l’aboutissement de son engagement.

Manif Kemper-2    Manif Kemper-1

L'implication du monde associatif

  • La loi ne met pas un terme à notre combat. J’ai quand même l’impression que ça bouge, on n’adopte pas tous les jours une loi en faveur de nos langues régionales, les langues de France. À mon avis, on a beaucoup évolué par rapport à la question des langues. Ce qui est impressionnant d’une certaine manière, car nos langues n'existaient pas aux yeux de l’État, de l’Éducation nationale, c’était la conviction de l’administration centrale, ceux qui régentent notre pays d’une certaine manière, les hauts fonctionnaires, ceux qui font plus ou moins la loi. J’ai enfin vu les députés, de vrais députés, les élus du peuple, se mobiliser et se démarquer du point de vue de l’administration.

Ce qui est surprenant, c’est le nombre de députés présents cette fois-ci à l’Assemblée nationale, près de 350, alors que vous étiez moins d’une cinquantaine en première lecture, il y a un an. Cela fait six fois plus ! Comment expliquer qu’une majorité de députés se sont prononcés cette fois en faveur de vos propositions ?

  • C’est l'implication des associations qui a conduit à un tel rassemblement. Tous ceux qui sont investis pour nos langues, la culture ou l’enseignement, comme la FELCO (1), la FLAREP (2), dans les écoles, nous avons échangé avec énormément d’entre eux. En première lecture, ils ont vu la proposition de loi se défaire, le Sénat l’a rattrapée, les sénateurs ont créé la surprise, personne ne pensait que le Sénat serait revenu sur le vote de l’Assemblée nationale. De plus, ils ont réintégré les quatre articles sur l’enseignement que les députés avaient supprimés à l’instigation du ministre de l’Éducation nationale, J.-M. Blanquer.
  • Après l’examen de la proposition de loi au Sénat, tout le monde a eu l’impression cette fois-ci que son adoption devenait possible. On est allé à la rencontre des députés, en Alsace, en Occitanie, en Bretagne…, en leur demandant de voter pour ce texte, en leur expliquant que ce qu’avait voté le Sénat c’était bien, qu’il fallait le voter conforme. Beaucoup de députés ont alors pensé qu’il fallait y aller. Une sorte de pressing populaire s’est exprimée en quelque sorte, car le monde associatif est une partie du peuple, en Alsace, en Catalogne, au Pays basque… Ce qui s’est passé en Savoie, en Picardie ou en Flandre est assez curieux. Car ce n’est pas tous les jours qu’on parle d’eux, ils se sont rendu compte qu’ils avaient une langue et souhaitaient aussi une initiative au bénéfice de leur langue.

Des divergences entre Macron et Blanquer ?

Parlons maintenant de l’avenir. Après la promulgation de la loi, des décrets d’application devront normalement être publiés. Est-ce que Jean-Michel Blanquer ne va pas faire traîner les choses ?

  • Je crains que cela se passe comme ça, que ce soit difficile. Même pour le tilde. Il va falloir faire l’inventaire des signes diacritiques, ceux du breton, du catalan, etc. Je ne vois pas comment un juge pourra désormais décider qu’il faut écrire Marti avec un point sur le i au lieu d’un accent. S’il n’y a pas de demande sociale, la loi serait mort-née de toute façon. Il ne faudrait pas qu’on écrive n’importe quoi dans ces décrets.

N’y a-t-il aucun risque de recours devant le Conseil constitutionnel ?

  • Qui le ferait ? Le gouvernement ? Ce serait assez étrange. Je ne sais pas si vous avez lu Ouest-France, qui fait état du mécontentement du président de la République (3). Il serait bizarre que le gouvernement interpelle le Conseil Constitutionnel. Il y a une divergence de point de vue entre Macron et Blanquer. Mais c’est qui le patron ? À mon avis, il serait bien difficile de trouver 60 députés pour déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. Il n’y a que ceux de La France insoumise qui ont voté contre, et une partie de ceux de LREM. Mais comment pourrait-il y avoir un accord entre eux ? 
  • Nous n’avons nous qu’une seule journée dans l’année pour tenter de faire adopter une proposition de loi. J’avais quitté LREM pour créer le groupe Libertés et territoires, fort heureusement. Nous n’aurions jamais réussi à prendre une initiative comme celle-là au sein de LREM, c’est évident. J’ai compris qu’il serait impossible de faire avancer ce dossier au sein de LREM. Il faut dire tout de même qu’à LREM beaucoup ont voté pour la proposition de loi, près des deux tiers, un tiers s’est abstenu ou a voté contre. Les députés n’ont pas suivi les consignes que le groupe avait données.
  • Didier Le Gac a bien travaillé, de même que Yannick Kerlogot, Erwan Balanant au sein du MODEM. Ce qui me plaît, c’est que nous avons pu rencontrer les députés des territoires, en Bretagne, en Occitanie, en Catalogne et même en Alsace, car eux sont LR, ce qui est amusant. Ce sont des députés de la périphérie qui se sont tous retrouvés contre Blanquer.
  • Christophe Castaner, le patron de LREM, a joué un drôle de jeu. Il ne s’est exprimé que sur les frais de scolarité, c’était le point d’achoppement le plus difficile. Il y a des députés qui ne veulent pas que l’on subventionne les écoles associatives, c’est vrai. Si je me souviens bien, la majorité n’a été que de dix voix sur cet article. Pour l’article concernant l’immersion, elle a même été de 60 voix. Ça montre bien combien les esprits ont évolué sur ce point.
  • Quand on explique ce qu’est l’immersion, que les enfants ne parlent que la langue régionale à l’école maternelle, on n’est pas habitué à entendre ça, ça peut donc se faire en France, pas un mot de français en maternelle, mais comment donc ? Les enfants ne parlent donc pas le français ? Je leur dis, mais si, et de plus leur français est d’un bon niveau. Bien entendu, celui qui n’a jamais vu d’enfants fonctionner ainsi à l’école, c’est comme débarquer d’une autre planète.

Blanquer en minorité sur chaque vote

Comment analysez-vous le positionnement de Jean-Michel Blanquer lors du débat en deuxième lecture à l’Assemblée ? Ne fait-il pas preuve d’un double jeu ?

  • Blanquer a été mis en échec sur tous les votes, à chaque fois. En réalité, il est hostile à nos langues, maintenant c’est évident. Il présente tout toujours de deux façons. Je suis favorable à la loi Molac, mais il faut la modifier. Je suis pour les langues régionales, mais il ne faut pas favoriser leur enseignement.

Mais est-ce que votre loi va changer quelque chose pour de vrai ?

  • Il le faut… Si on n’avait pas exprimé de volonté forte, ça ne sert à rien, c’est évident. Un volontarisme s’est exprimé, on souhaite que l’on respecte nos droits culturels, c’est la raison pour laquelle je pense qu’elle sera efficace. À mon avis, dans tous les esprits, c’est de toute façon une victoire politique. En France, il y avait, si je puis dire, un État, une langue, un peuple. C’était à peu près comme ça. Au bout du compte, nous pouvons être Français et parler une autre langue. Je considère que c’est une évolution majeure.

Paul Molac affiche-t-il de la fierté que son nom soit désormais associé à cette loi ?

  • Vous savez, moi je suis un brave gars de la campagne, la fierté c’est pour ceux qui vivent en ville. Quand je pense à ce qu’on dit du côté de Ploërmel, celui-là il est fier tout comme, c’est pas un compliment. J’essaie de faire ce que je peux, au service des langues, du breton, du gallo, de leurs locuteurs, ça me convient.

Interview et version française : Fañch Broudic

Notes

  • (1) FELCO : Fédération des enseignants de langue et de culture d’oc
  • (2) FLAREP : Fédération pour les langues régionales dans l’enseignement public
  • (3) Selon le quotidien, dans son édition du 9 avril, en page Bretagne, le président de la République aurait regretté, en Conseil des ministres, l’attitude trop fermée du gouvernement depuis quatre ans sur la question des langues régionales. 
  • Photo d'archive de Paul Molac, en haut de page : FB.
  • Manifestation du 13 mars à Quimper : intervention de P. Molac, défilé de la manifestation en ville. Photos FB.
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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