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Le blog "langue-bretonne.org"
15 juillet 2015

ArMen : une interview explosive de l'étonnant Michel Le Bris

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Surprenante couverture que celle du dernier numéro d'ArMen, inattendue en tout cas. J'ai l'impression d'avoir toujours vu une photographie à la une de la revue, et là il n'y a que du texte, en noir et bleu sur fond blanc : l'effet est étrange. L'objectif est apparemment d'annoncer que la Bretagne fête la culture. Ce numéro 207 est effectivement accompagné d'un guide de poche des sorties culturelles de l'été dans les cinq départements. Sur ce créneau, ce ne sont pas les guides qui manquent, mais celui d'Armen est plutôt bien conçu. Et il ne traite pas que de culture bretonne : de toute la culture en Bretagne.

Du coup, la une ne dit rien du sommaire de la revue. Il faut donc la feuilleter tranquillement pour y découvrir le Mont Saint-Michel sous la plume de Philippe Le Guillou, le vent nouveau que fait souffler Le Groupe Ouest depuis Plounéour-Trêz sur l'écriture de scénarios ou le discret bout de chemin d'Hervé Bellec en compagnie de la navigatrice Anne Quéméré.

L'un des textes qui devrait le plus retenir l'attention et qui ne manquera pas de susciter des réactions est sans aucun doute l'interview détonnante de l'écrivain Michel Le Bris par Alain-Gabriel Monot (par ailleurs directeur de la revue Hopala !). Tout le monde sait qu'il a lancé le festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo il y a un quart de siècle, avec une idée précise en tête : "vaincre le milieu littéraire traditionnel qui est épouvantablement mondain." Ce festival, il l'a ensuite exporté jusque dans les Balkans, en Haïti, en Afrique, tout en forgeant le concept assurément porteur d'une "littérature-monde". Un portrait sur une page fournit des repères à grands traits sur son itinéraire.

Armen 207 116

Dans cet entretien, Michel Le Bris ne mâche pas ses mots. Mais c'est tranquillement qu'il commence par décrire son rapport à la mer et au rivage autant qu'à la Bretagne. Du temps de son enfance à Plougasnou, il se savait pauvre et dès lors différent des autres par son origine sociale, mais pas qu'il était Breton : on le lui a fait comprendre avec condescendance dans un lycée de Versailles. Dans les livres qu'il a ensuite consacrés à la Bretagne, il a voulu se remémorer, dit-il, "[les] personnages du peuple du rivage de la baie de Morlaix" et il s'est demandé "comment penser une philosophie de la liberté en échappant […] aux schémas qui ont échoué."

Il reconnaît se sentir "passionnément homme de Bretagne" et il est convaincu que l'immense majorité des Bretons d'aujourd'hui se sentent bretons : "très simplement, tout simplement." Dans l'esprit de M. Le Bris, d'évidence, tout est dans cet adverbe, "simplement". Car la réponse fuse, viscéralement, dès qu'on lui demande s'il a de la sympathie pour le "mouvement breton" : " Ah, non, aucune !" Là, le propos devient tranchant.

  • Il affiche ainsi sa détestation de l'idée d'un "petit état" avec son armée et ses frontières, et son hostilité aux "tenants de cette pensée misérable". Quand Alain-Gabriel Monot lui fait remarquer qu'il est "vraiment très remonté contre les nationalistes", il aquiesce et confirme. Le nationalisme [breton, et occitan aussi] l'horripile : "les nationalistes, dit-il, sont les gens les plus désespérants que je connaisse." L'anecdote de quatre militants bretons conversant en français autour d'une table, puis choisissant de s'exprimer en breton quand quelqu'un d'autre s'approche, lui a inspiré "la définition de la connerie"…
  • Le breton n'est-il déjà plus une langue de communication ? D'autres, y compris des militants, ont effectivement fait le constat qu'il l'est de moins en moins. Lui aussi a son idée sur le sujet : il se dit "très attaché" à ce qu'il puisse vivre comme langue de culture et considère comme "chose naturelle" qu'il soit enseigné. À une condition explicitement formulée cependant : "que ce ne soit pas encore un 'cache-sexe' du nationalisme". Le serait-il donc ?

Ce ne sont là que quelques citations d'un entretien pour le moins tonique et qui s'étend sur six pages, photos de Xavier Dubois comprises. L'approche était différente du temps, pas si lointain, où ArMen proposait à ses lecteurs "un tour d'horizon des pays et des peuples qui ont ceci de commun avec la Bretagne de revendiquer les moyens et les institutions nécessaires pour assurer leur développement et promouvoir leur identité, leur langue et leur culture" (dernier éditorial de Yann Rivallain en tant que rédacteur en chef, n° 188, mai-juin 2012).

La ligne éditoriale s'est-elle recentrée ? ArMen se positionne peut-être davantage comme un point de rencontre et un lieu de débat. Elle s'implique toujours pour une Bretagne vivante, mais l'engagement est plus subtil. D'ailleurs le sous-titre à la une n'est plus le même.

  • Avant, et depuis les débuts, c'était "La Bretagne, un monde à découvrir".
  • Depuis quelques numéros déjà, c'est "La Bretagne éclairée."

J'en reviens à l'interview de Michel Le Bris. L'homme a assurément la stature de l'écrivain qui prend position sur des questions de société. Qu'il conteste le nationalisme [breton, occitan…] ne me dérange pas, que l'on en débatte non plus. Mais y a-t-il des nationalistes bretons aujourd'hui ? Oui, sûrement. Qui sont-ils ? Michel Le Bris ne les nomme pas. Ceux qui le sont ou qui le seraient ne le crient pas eux-mêmes trop fort sur les toits… Y aurait-il donc en Bretagne un crypto-nationalisme ou un nationalisme soft ou larvé ? Alors que seuls quelques-uns l'assument, faut-il considérer tous les mouvements bretons comme étant nationalistes ? Au détour d'une phrase, Michel Le Bris relativise lui-même son discours : il lui paraît "heureusement, précise-t-il, que les générations nouvelles ne sont déjà plus héritières de ces conflits du passé". Acceptons-en l'augure.

Le mot de la fin revient à l'interviewé quand on lui demande quelle est dès lors sa définition de la Bretagne. La réponse est énigmatique : c'est, dit-il, "le télescopage". Mais de quoi ? Celui des "contradictions". Bien vu.

Pour en savoir plus :

Michel Le Bris, voyageur étonné. Texte : Alain-Gabriel Monot. Photographies : Xavier Dubois. ArMen, n° 207, juillet-août 2015, p. 40-45.

Commentaires
Y
Met petra 'ra Patrig hag e re, estreget mont e galleg diwar-benn ar brezhoneg, roazhoneg pe diroazhoneg an tamm anezhañ. Gwelloc'h ganin ur roazhoneger eget ur Breton leun e c'henoù gant gerioù gallek dismegañsus e-keñver Bretoned all.
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P
à Jean, mes propos se limitaient à la sphère de l'expression en langue bretonne. Merci de définir que vous nommez breton standard, celui des médias, des militants ? Si c'est cela, il est très souvent insipide et celui qui sait ouvrir ses oreilles n'entend rien de plus ni de mieux que du français avec des mots bizarres ! Bien sûr ceux qui n'ont pas baigné près du bern teil penn an ti n'ont pas les oreilles pour et tout peut donc être inventé, y compris des monstruosités. C'est le gros problème du breton de l'emzav ou roazhoneg, machine à laver à obsolescence programmée qui lavera encore une ou deux années avant de disparaitre ou au pire de finir dans un labo rennais ou au musée, faute de locuteurs, car qui voudrait pratiquer et transmettre une langue plus blanc que blanc ?
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A
Michel Le Bris sait-il de quoi il parle ?
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P
les pennoù braz de la brittophonie (autrefois nationalistes plus ou moins décomplexés) se sont fondus dans la masse, euh, vu leur faible nombre disons plutôt qu'ils se concentrent dans la tête du maillet, ils écrasent les parlers populaires pour tenter d'imposer un volapük rennais que les bretonnants peinent à lire et n'intégreront jamais, ils arrosent aussi les éventuels récalcitrants avec des miettes de subsides qu'ils perçoivent de Paris, ce résumé est peut-être lapidaire mais proche de la vérité, mais la digue prend l'eau...
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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