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Le blog "langue-bretonne.org"
13 mars 2012

Petite initiation à l’occitan pour les Bretons

Verny MJ-9Il n’est pas certain que les Bretons connaissent si bien que cela la situation de l’occitan dans le sud de la France. Voici donc, non pas bien sûr un manuel d’initiation, mais quelques repères, avec le concours de Marie-Jeanne Verny. Elle est maître de conférences habilitée à diriger des recherches au Département d'occitan de l’Université Paul Valéry à Montpellier. Elle est également connue comme une militante active et impliquée, puisque présidente du CREO Lengadòc (Centre Régional de l’Enseignement de l’occitan) et cosecrétaire de la FELCO (Fédération des enseignants de langue et culture d'Oc - enseignement public).
Marie-Jeanne Verny est intervenue au début de ce mois de mars devant les étudiants de celtique de la faculté Victor Ségalen à Brest, ainsi qu’à Berrien dans le cadre de la journée d’études organisée par "Formation et Citoyenneté" (voir messages du 22 février et du 4 mars) sur le thème de la langue bretonne et des langues de France. Interview.

L'Occitanie existe-t-elle vraiment ? L'occitan est-il reconnu comme langue, ou est-ce toujours "le patois" ?

  • L’Occitanie n’est pas une donnée évidente comme est évidente la Région Bretagne, la Catalogne ou le Pays Basque. La seule définition consensuelle – et encore – est celle de l’espace où est parlée la langue d’oc ou occitan. Mais c’est un espace administrativement complexe, difficile à repérer historiquement ou géographiquement en dehors de ce critère linguistique.
  • En revanche, l’occitan, comme langue une dans la diversité de ses parlers, c’est une donnée largement reconnue en ce début du XXIe siècle. L’adoption d’une norme écrite respectant les grandes variantes dialectales, la reconnaissance par l’école depuis la Loi Deixonne, l’existence millénaire d’une grande littérature, les résultats très positifs des enquêtes d’opinion sur le désir de langue des populations révèlent une « relégitimation » de la langue, même si les nouveaux locuteurs ne compensent pas la perte des locuteurs naturels. Au moins les premiers ont-ils la fierté de leur langue reconquise et la conscience de son caractère de langue.

Peut-on comparer la situation actuelle de l'occitan à celle du breton ?
Plusieurs facteurs concordent avec ce que j’ai entendu à Berrien : les représentations différentes entre locuteurs « naturels » et néolocuteurs, les efforts et les difficultés (considérablement accrues ces dernières années) de la scolarisation, l’intérêt des collectivités territoriales (inégal selon les Régions en ce qui concerne l’occitan).

  • Nos faiblesses : l’éparpillement de l’espace occitan et la difficulté d’harmoniser des politiques linguistiques disparates quand elles ne sont pas purement inexistantes. Un certain retard pour la scolarisation bilingue dont la carte est de surcroît très inégale selon les académies.
  • Nos atouts : le prestige d’une littérature plus que millénaire et toujours vivante avec de nombreux jeunes écrivains, l’existence d’une réflexion approfondie sur la question avec des penseurs exceptionnels comme Robert Lafont ou Félix Castan, le premier surtout ayant irrigué la pensée de gauche traditionnelle de sa réflexion sur le régionalisme.


Où en l'enseignement de l'occitan dans les 8 académies concernées ? Quel est l'état des lieux ?
Très inégal.

  • Une académie en pointe en nombre d’élèves et prise en compte officielle : celle de Toulouse, depuis des décennies, grâce à une politique très favorable de plusieurs recteurs successifs.
  • Montpellier et Bordeaux ne se portant pas trop mal, même si les dernières années révèlent de grosses difficultés, du fait d’une politique nationale de réduction drastique des moyens, ou de réformes pénalisant les options.
  • Un quasi désert pour Clermont et Limoges : un seul professeur certifié pour chaque académie, aucun site bilingue public.
  • Une certaine vitalité à Nice où des tentatives d’ouvertures de classe bilingues se font jour et où l’enseignement en second degré est plus dense et dynamique qu’ailleurs.
  • Une situation complexe à Aix où « mistraliens » et « occitanistes » se partagent le terrain, les premiers étant plutôt dans le second degré, les premiers en primaire, le tout dans une atmosphère pas franchement cordiale.
  • Des progrès récents pour l’académie de Grenoble, entre autres grâce à une action offensive de la Région en faveur de ses deux langues (occitan et franco-provençal).

Verny MJ-7Qu'est-ce qui marche le mieux : les classes bilingues dans l'enseignement public, ou les Calandretas ? Pourquoi ?
Je ne poserais pas la question en termes de plus ou moins bonne qualité. D’abord parce que l’occitan est une langue facile à apprendre. L'important, pour faire de futurs locuteurs que ce soit d'occitan, de breton ou de basque, c'est un temps d'exposition suffisant à la langue, qui passe, me semble-t-il, au minimum par le bilinguisme, mais aussi par l'immersion. Qui passe surtout par une vie sociale de la langue dans l'école. Une langue qu'on enseigne pour elle-même sans la faire servir pour agir ne sera pas une langue que les enfants parleront.
Quand nous recevons à l’Université des élèves issus de Calandreta ou des écoles bilingues publiques leur niveau est le même. D’ailleurs les Calandretas communiquent rarement sur l’immersion, mais plutôt sur leur caractère associatif et sur leur spécificité pédagogique (pédagogie Freinet).
Pour moi il s’agit d’une question de choix d’école publique. Les enfants occitans sont, dans leur immense majorité, scolarisés à l’école publique (c'est une différence avec la situation bretonne). Si nous voulons une reconquête sociale de la langue, il faut la proposer là où sont les enfants et ne pas privilégier les familles assez conscientes pour en faire la demande. Et ce d’autant plus, plusieurs enquêtes l’ont montré, que le choix de Calandretas est très souvent lié à tout autre chose qu’au choix de l’occitan : une autre pédagogie, de petits effectifs, le droit des parents à intervenir dans l’école…
Les pionniers de Calandreta ont eu le mérite de se lancer dans l’aventure du bilinguisme alors que l’école publique ne proposait qu’une initiation. Ils ont montré que le bilinguisme précoce profitait aux enfants. La loi fournit désormais un cadre pour que l’expérience puisse se faire dans l’école publique. C’est donc là qu’il faut concentrer les efforts et donc se jeter dans la bagarre avec l’institution, au lieu de faire à côté en abandonnant à leur sort la majorité des enfants de nos pays.
Pour que les enfants qui ont appris la langue à Calandreta ou dans le bilingue public ne soient pas isolés en société, il faut resserrer le maillage des écoles où l'occitan est enseigné de façon intensive. Il faut aussi, à côté, développer, en parallèle, les autres formes d'enseignement de la langue ou d'initiation à la langue. Il faut informer et former les maîtres. Dans l'institution Education Nationale, comme dans la société, nous souffrons plus de la méconnaissance du "plus" que nous voulons apporter aux enfants que d'une véritable hostilité raisonnée.

Verny MJ-8Les régions concernées s'investissent-elles pour l'enseignement de l'occitan ? Ont-elles mis en place, par exemple, des bourses "skoazell" comme en Bretagne ?
Très inégal : des bourses sont accordées (une quinzaine chacune) par les Régions Aquitaine et Midi Pyrénées. À l’heure où j’écris ces lignes, la Région Languedoc-Roussillon les refuse toujours. Le président de la confédération des Calandretas s’est par ailleurs déclaré défavorable à ce processus… Nous ne désespérons pas, cependant, d’arriver à un changement de décision. En effet, ces bourses sont pour nous essentielles pour permettre à des jeunes de milieux modestes d’accéder à des postes de titulaires.
De fait, l’obligation de l’obtention du master pour passer les concours d’enseignants et donc celle d’une année d’études supplémentaires, a écarté de ces concours des jeunes de milieux modestes qui se retrouvent… vacataires dans les lycées et collèges, payés au lance-pierres et éjectables de surcroît…
Dans d’autres domaines, les Régions agissent, bien sûr : elles aident les productions pédagogiques, comme celle que nous réalisons au CRDP de Montpellier par exemple. Elles aident aussi de nombreux projets pédagogiques. Par ailleurs, en organisant ou subventionnant des manifestations culturelles (Estivada en Midi-Pyrénées, Total Festum en Languedoc-Roussillon…), elles fournissent un cadre à la vie de la culture occitane. Sans cette vie culturelle ambiante, la présence de l’occitan à l’école serait bien dérisoire.

Verny MJ-6En Bretagne, s'exprime une demande de transfert de compétence au bénéfice de la région pour la question de l'enseignement du breton. Vous, à la FELCO notamment, vous y êtes opposé. Pourquoi ?
Nous avons écrit à ce sujet complexe un texte longuement mûri, discuté entre nos composantes académiques. Ce texte est en ligne sur notre site. Nous sommes pour des compétences partagées entre État et collectivités territoriales. Nous voulons que celles-ci s’investissent davantage pour leur langue et leur culture et nous les rencontrons régulièrement, nous leur adressons des demandes et nous saluons toutes les avancées comme les signatures de conventions, les dispositifs de bourses, les aides à la création, les aides aux projets pédagogiques et à l’édition pédagogique, les aides à la création musicale, théâtrale, littéraire, la signalétique bilingue, la présence publique de la langue dans les lieux qui sont de leur domaine de compétences. Il existe des champs innombrables où les collectivités (Régions, départements, communes) peuvent agir et elles le font malgré l’étranglement de leurs moyens et l’augmentation de leurs charges.
Mais nous ne voulons pas cautionner un désengagement de l’État que celui-ci est assez disposé à mettre en œuvre tout seul. Lors de nos audiences au Ministère, nous l’avons déjà entendu : bon tout ça, il faut que ce soit les Régions qui s’en chargent… Les plus grosses avancées obtenues dans le domaine de l’Enseignement l’ont été dans un cadre juridique national (création des CAPES, du CRPE spécifique, du bilinguisme public). Nous ne voulons pas revenir sur ces avancées. Nous ajoutons, côté occitan qu’en PACA, d’aucuns en profiteraient pour déclarer le provençal comme langue à part, au mépris de toute évidence…

Verny MJ-10Vous avez déclaré à Berrien qu'on a déjà perdu des dizaines d'années pour la transmission de l'occitan. Quelles sont les perspectives pour celles à venir ?
Il faudra d’abord un bon changement politique parce que, jamais nous n’avions subi autant d’attaques, jamais les collègues dans leurs classes n’avaient été aussi découragés que ces dernières années.
Ensuite… Le désir de langue est bien réel chez de nombreux jeunes. L’usage de l’occitan ne pose plus problème chez ces néolocuteurs alors que nous, leurs aînés, qui avions connu des situations de langue occitane bien plus présente dans les campagnes notamment, nous portions encore, confusément, le sentiment de honte diglossique et employions assez souvent le français. La créativité est bien réelle, dans tous les domaines, les festivals sont nombreux et très jeunes… Tout n’est pas perdu, même s’il faudra encore beaucoup bagarrer pour une présence publique de la langue visant à légitimer la pratique de celle-ci.
Mais la vitalité socioculturelle de la langue est un fait : des jeunes écrivent, font de la musique, du théâtre en occitan. Dans une enquête sous forme de traitement de données (dépouillement de 1 900 documents sur des événements culturels occitans), j’avais recensé plus de 600 groupes de musique différents, dans tous les genres, du trad au hard rock, en passant par les polyphonies ou les chansons "à textes" poétiques ou revendicatifs, selon une tradition datant des années 1970. Internet est massivement investi par l’occitan, des forums se tiennent dans cette langue, dont les animateurs sont plutôt jeunes.
Par ailleurs les enquêtes des collectivités sur la langue (les plus récentes sont Auvergne, Aquitaine et Midi-Pyrénées) montrent un regain d’attachement des populations à leur langue.
Enfin, pour peu que la présence publique – écrite et orale – de la langue augmente sensiblement, je ne doute pas d’une réappropriation de celle-ci par sa population en raison notamment de sa facilité d’apprentissage.

Pour en savoir plus :
Tous les sites internet signalés dans l'interview.
A suivre : un tout nouveau site de référence (conçu par des universitaires) va être prochainement mis en ligne sur l'occitan : une langue, une histoire, une littérature.

Lengas est une revue de sociolinguistique publiée depuis 1977 par l'équipe "REDOC CNRS". Elle publie des dossiers sur le domaine occitan et des articles théoriques sur les problèmes et méthodes de la sociolinguistique.
Fañch Broudic. Les nouveaux sondages sur la pratique du breton et celle de l'occitan en Aquitaine. La Bretagne linguistique, n° 15, 2010, p. 185-194.

Commentaires
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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