Il est sans doute temps que je dise un mot du numéro de mars de "Armor", avant que ne paraisse celui d'avril ! "Armor", c'est "le magazine de la Bretagne au présent" (joli sous-titre, venu remplacer l'ancien "Armor Magazine" : mais sur le site internet, c'est toujours cette dernière appellation qui prévaut), et le numéro de mars est celui de ses 40 ans : dans la presse périodique (régionale), tous ne durent pas aussi longtemps. Une cinquantaine de pages est consacrée à cet anniversaire. Yann Poilvet, le fondateur, en est plutôt fier : "Armor est un peu l'histoire de près d'un demi-siècle de vie bretonne".
Il raconte la genèse du magazine en décembre 1968 : expatrié en région parisienne, dirigeant du MOB, il voulait, dit-il, revenir au pays de ses ancêtres. Les mots qui reviennent dans son interview : le service de la Bretagne, valoriser la Bretagne, le combat de la Bretagne… Ça ne demanderait pas à être un peu explicité, tout ça ? D'autant que "Armor" ne s'affirme ni de droite ni de gauche (ce n'est pas courant aujourd'hui) et se veut être "un état d'esprit, un journal de combat". Pour un journal d'opinion, c'est une performance et iI y a sûrement là matière à une belle recherche en sciences politiques.
Une vingtaine d'auteurs analyse les grands changements intervenus depuis 40 ans et les défis qui se présentent. La plupart traitent des institutions, d'économie, de géographie, d'identité. Alain Glon, Président de l'Institut de Locarn, estime que "la Bretagne ne doit pas être un sous-produit français". L'incontournable Hervé Le Borgne croit en un modèle breton : pour que la Bretagne devienne "un symbole d'espérance", il reprend un slogan pas si nouveau et  "que d'autres avant nous avaient résumé en trois mots bretons : Ni hon unan ! Nous-mêmes !"
Deux pages bien documentées présentent la "formidable vitalité" de la musique bretonne, dont on a du mal à s'imaginer ce qu'elle n'était pas encore en 1969. Deux autres traitent de la langue bretonne et du gallo. Ce dernier est présenté comme "l'autre langue de la Bretagne" : l'article explique avec les nuances qui s'imposent qu'il est "bel et bien vivant à la campagne parmi les plus anciens." Pour le breton, Olier ar Mogn fait état de 40 ans d'avancées, mais d'un avenir incertain. Il n'évoque pas tant les locuteurs ni les pratiques réelles que les initiatives qui ont marqué la dernière période : la révolution Diwan, une autre "véritable révolution tranquille" enclenchée par la création de l'Office de la Langue Bretonne, la professionnalisation du mouvement linguistique…
De très nombreux invités ont confié à "Armor" leur rêve de Bretagne d'ici 40 autres années. Parmi eux, Lena Louarn est quasiment la seule à parler de la langue bretonne. Convaincue que "l'harmonie linguistique" va gagner, son rêve à elle est que "la courbe de la langue bretonne" remonte : "entendre parler breton à la banque, à la poste, à la mairie, radio ou télé quotidiennement, écrit-elle, n'étonnera plus personne".
Là, je suis quand même bluffé. Car il n'y a pas un article, pas une page, pas une ligne en breton dans ce dossier des 40 ans d'"Armor". Je crois que j'ai rêvé que pour enclencher cette révolution tranquille, la rédaction avait décidé de ne publier désormais "Armor" qu'en langue bretonne. Je suis impatient de découvrir le numéro d'avril du "magazine de la Bretagne au futur". Pour savoir si ce n'était qu'un rêve.
Contact "Armor" : armormagazine@wanadoo.fr
Site internet : www.armor-magazine.com