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Le blog "langue-bretonne.org"
27 février 2009

Langue commune et changement de normes

arbres_111Le colloque "Langue commune et changement de normes" organisé par l'Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle vient de se tenir comme prévu du 23 au 25 février (voir message du 1er décembre 2008). Organisé par Sonia Branca-Rosoff et Yana Grishpun notamment, il s'est déroulé dans de bonnes conditions et dans une ambiance très studieuse. 32 communications ont été présentées par des linguistes, sociolinguistes et historiens, venus de plusieurs universités et centres de recherches français et étrangers.
La plupart des communications ont porté sur les normes du français parlé et écrit du XVIe au XIXe siècle, sur "la fabrication de la langue", l'institution du français sous la Révolution, etc. Mais plusieurs interventions ont traité des discours normatifs sur la langue en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Italie. D'autres exposés ont eu lieu sur la fabrication du finnois moderne, la normalisation du portugais, la formation du grec moderne et la construction de la langue bretonne.
Le texte des communications devrait être assez rapidement mis en ligne. Une édition papier sera envisagée. Voici le résumé de la communication que j'ai présentée concernant le breton.

La langue bretonne en débat : des traductions de la Révolution à l'apparition d'une presse périodique
Les langues de France, le plus souvent désignées comme "langues régionales", sont elles aussi concernées par l'élaboration de normes. Le breton est au XIXe siècle la langue d'usage d'une population de ± un million de personnes en Basse-Bretagne. Jusqu'au Second Empire, 80 % de ces locuteurs sont monolingues. L'alphabétisation tout comme la connaissance du français vont progresser tout au long du siècle, et surtout à compter de l'instauration de l'enseignement primaire obligatoire. Mais en 1831, près de 5 % de la population sait lire le breton, alors que seuls 2,6 % savent lire le français. Et pourtant, dès cette époque, les imprimeurs diffusent plus d'almanachs en français qu'en breton.
En matière de glottopolitique, l'Ancien Régime se caractérisait par son organicisme. Sous la Révolution, les "idiomes" font aussitôt l'objet de multiples débats. C'est dès 1789 que, pour la première fois de son histoire, le breton devient langue de la politique : de nombreux textes révolutionnaires, comme la Déclaration des Droits de l'Homme ou l'Almanach du Père Gérard, font l'objet de traduction. Mais avec les discours de Barère et de l'abbé Grégoire, la langue bretonne devient aussi un enjeu de société.
Le XIXe siècle connaît cependant "une véritable explosion du breton écrit", puisque sur la période qui s'étend de 1790 à 1892 plus de 200 auteurs publient un millier d'ouvrages reliés ou brochés. La presse périodique fait son apparition : le premier mensuel bilingue, à destination des agriculteurs, paraît dès 1833, mais ne dure que deux ans. D'autres périodiques, notamment "Feiz ha Breiz" ("Foi et Bretagne", le premier hebdomadaire exclusivement en breton à compter de 1865) connaissent ensuite une plus grande longévité et une meilleure diffusion.
Écrire en breton a toujours nécessité de faire de multiples choix, pratiques et/ou idéologiques : "il y a de la dispute et de la guerre parmi nous [en 1843] pour chercher à savoir comment écrire et parler pour le mieux notre breton." L'un des premiers choix à opérer est celui du "dialecte" dans lequel on s'exprime : le Léon et le Vannetais, très différenciés l'un de l'autre, utilisent très tôt deux graphies différentes. Pour ce qui est de l'orthographe, les traducteurs de la période révolutionnaire continuent, sans se poser de questions, d'écrire sur la base des innovations apportées par le Père Maunoir un siècle et demi auparavant (avec notamment la transcription des mutations consonantiques à l'initiale).
En publiant en 1807 une "Grammaire Celto-bretonne", puis en 1821 un dictionnaire tout aussi "celto-breton", J.-F. Le Gonidec vient bouleverser le paysage linguistique du breton et donne naissance à ce qu'on appellera "l'école bretoniste". Il prend l'initiative d'une rénovation orthographique qui abandonne les conventions du français pour adopter celles d'autres langues européennes. Au risque de l'incompréhension, il entreprend dans le même temps d'éliminer tout ce qui lui paraît gallicisme et de purifier le vocabulaire dans un sens "celtique". Hersart de la Villemarqué va accentuer cette démarche, dont la finalité conservatrice est expressément affichée : établir "un cordon sanitaire" entre la Basse-Bretagne et le monde extérieur pour "sauver nos campagnes de la corruption et de l'impiété".
Leurs initiatives vont assez rapidement susciter le rejet. Il n'y a que les milieux lettrés à adopter les nouveaux principes orthographiques : les graphies populaires continuent de l'emporter. Pour ce qui est du purisme, les rédacteurs de "Feiz ha Breiz" préfèrent la périphrase au néologisme. Un ecclésiastique de l'école bretoniste se fait finalement rabrouer par ses supérieurs en 1856 : "il importe peu que le breton soit écrit hervez ar reiz [selon les règles], pourvu que la doctrine soit bonne." L'Eglise, un temps séduite par la nouvelle école puriste, avait décidé de recadrer le débat.
Bibliographie sommaire :
Broudic (Fañch). La pratique du breton de l'Ancien Régime à nos jours. Presses Universitaires de Rennes.
Tanguy (Bernard). Aux origines du nationalisme breton. 10.18.
Le Berre (Yves). La littérature de langue bretonne. Emgleo Breiz.
Kerenveyer. Ar farvel göapaër. Le bouffon moqueur / traduit et présenté par Ronan Calvez. Centre de Recherche bretonne et celtique.
L'almanach du Père Gérard de J.M. Collot d'Herbois. Le texte français et ses deux traductions en breton / rééd. Gwennole Le Menn. Skol.

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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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